La France orange mécanique, ce livre polémique

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Fabienne Cosnay , modifié à
L'essai, qui dépeint une France ultra-violente, est porté aux nues par Le Pen. Ses détracteurs dénoncent un essai simpliste.

C’est un livre qui fait beaucoup de bruit ces dernières semaines. La France orange mécanique, présenté par son auteur "comme une enquête sur un sujet tabou" - l’état de la criminalité dans notre pays - défend la thèse d’une France ultra-violente où "un simple regard peut tuer". Nouvelle bible pour les uns - Marine Le Pen est la première à en faire la promo - essai simpliste et non scientifique pour les autres, le pavé orange de Laurent Obertone fait polémique.
 

Sorti le 17 janvier, le livre a bénéficié "d'un énorme bouche à oreille", assure la maison d'éditions Ring. "35.000 exemplaires ont été vendus et 20.000 réimpressions sont en cours", se félicite l’éditeur Simon Riaux, contacté par Europe1.fr. Sur le site Amazon, La France orange mécanique a pris la quatrième place dans le classement des meilleures ventes et est numéro deux dans les livres les plus demandés par les internautes. "Les médias en ont parlé parce que les gens l’ont acheté", assure t-on chez Ring.
 

Un plan com’ bien orchestré 

Car avant de décrocher les médias, la maison d’éditions a soigné la com’ du livre. Le titre qui fait référence au film de Stanley Kubrick, Orange mécanique. La couleur orange, "agressive pour que le livre se repère de loin en librairie". Et une bande-annonce (trailer) destinée à donner du crédit à la thèse défendue par l’auteur. Sur cette vidéo, on voit notamment le criminologue Xavier Raufer, ancien militant du mouvement d'extrême droite Occident, qui signe d’ailleurs la préface du livre. Le journaliste Robert Ménard et le magistrat Philippe Bilger sont aussi interviewés. Tous trois dissertent sur le sous-titre du livre : "Nul n’est censé ignorer la réalité" sur le refrain du "on ne vous dit rien". La sécurité, elle est ce que les médias n'en disent pas (…) Ce livre apporte la violence des choses avec les mots de la réalité, avec les mots que les gens emploient", se réjouit Robert Ménard.  
 

Aujourd’hui, Laurent Obertone n’a plus besoin de ces personnalités médiatiques pour défendre sa France orange mécanique. Le journaliste de 28 ans, ancien localier dans un hebdomadaire départemental de Champagne-Ardennes, enchaîne les interviews. Du passage télé grand public chez Ruquier à l’AFP japonaise, en passant par le site Novopress, vitrine médiatique du mouvement d’extrême droite le Bloc identitaire. Et quand ce n’est pas lui qui fait sa promo, c’est Marine Le Pen qui s’en charge. "On s’en serait bien passé", assure son éditeur.
 

Le coup de pub de Le Pen

Depuis qu'elle l'a lu, Marine Le Pen porte aux nues La France orange mécanique. Le 8 février, dans un message vidéo posté sur le site du parti, la patronne du FN exhortait ses troupes à "lire et faire lire" ce "travail sérieux, documenté". Une semaine plus tard, lors d'une conférence de presse dédiée au thème de l'insécurité, la patronne du FN reprenait à son compte une expression employée par l'auteur "l'ensauvagement de notre nation", caractérisé, selon elle, par "une violence gratuite qui se déchaîne par hasard". Le 22 février, invitée de l'émission politique Des paroles et des actes, Marine Le Pen faisait une nouvelle fois la pub du livre, invitant "tous les Français à le lire".

Un effet d’aubaine pour le FN 

La promo de Marine Le Pen est-elle sincère ? "C'est un livre qui l'a marquée", assure son compagnon et vice-président du FN Louis Aliot, contacté par Europe1.fr. Mais avant tout, la patronne du Front national a bien compris l'effet d’aubaine que représente La France orange mécanique pour valider le discours du parti. "Plus personne ne parle de l'insécurité. Or, ce thème reste prioritaire pour nous. Parler du livre permet de remettre le sujet sur le devant de l'actualité", reconnaît Louis Aliot. Dans sa vidéo d'ailleurs, Marine Le Pen n'oublie pas d'assurer aussi … la promotion du Front national. "France orange mécanique a un parti pris qui me plaît, il se place résolument du côté des victimes". "Nous serons toujours du côté de la victime, du côté du faible", prend soin d’ajouter immédiatement la présidente du FN.

Qui est Laurent Obertone ? 

L'auteur, lui, est-il proche du Front national ? Il s’en défend. Accusé par Mediapart d'avoir été actif dans la blogosphère d'extrême droite, Laurent Obertone a démenti en bloc et a annoncé son intention de porter plainte. Dans le même temps, interrogé par Rue89, l’auteur loue les qualités de Jean-Marie Le Pen, "un homme intelligent et cultivé quand on prend le temps de l'écouter".

Le FN version Marine Le Pen ne serait, en revanche, pas sa tasse de thé. A chaque fois qu’on lui pose la question, l’auteur renvoie à la page 333 de son essai. "Le Front national de Marine Le Pen ne propose rien qui permette de sortir de la spirale à emmerdements (…) Hormis un discours cohérent sur la sécurité, l'immigration et l'espace Schengen, son programme relève du gauchisme social, l'origine de beaucoup de nos maux", écrit-il.

"Ce livre n'a rien d'un travail scientifique"

Pour étayer sa thèse, une France ultra-violente, "une sur-représentation criminelle de certaines franges de l’immigration et l’échec du laxisme judiciaire" comme il l’explique sur le site Novopress, Laurent Obertone additionne les chiffres dans son essai. En s'appuyant sur les enquêtes de victimation (ce que les gens déclarent, et non pas seulement ce que la police enregistre), l’auteur aboutit à cette conclusion : la criminalité en France serait trois fois supérieure aux chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur.

mucchielli

"Faux", répond Laurent Mucchielli, spécialiste des questions de criminologie et de sécurité. "Laurent Obertone se garde bien de détailler les chiffres de victimation. Or, le type le plus fréquent, ce sont les violences verbales, pas les crimes", explique le sociologue, contacté par Europe1.fr. "Contrairement à ce que prétend l’auteur, le nombre d’homicides ne cesse de diminuer en France. L’immense réalité 'cachée' n’est donc pas celle des crimes et faits divers que le livre décrit page après page", ajoute le chercheur. Et de conclure : "Cet essai n’a évidemment rien d’un travail scientifique, c’est un coup marketing et un livre de propagande pour servir l’idéologie de l’extrême droite".