Jean Garrigues sur le PenelopeGate : "Les conséquences électorales risquent d'être dévastatrices"

© ROGERIO BARBOSA / AFP
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A.D , modifié à
Le professeur d'histoire contemporaine revient sur les suspicions d'emploi fictif de l'épouse de François Fillon. Pour lui, le manque de visibilité de son travail est manifeste. 
INTERVIEW

La semaine a été éprouvante par François Fillon, empêtré dans l'affaire du PenelopeGate. Dans son édition de mercredi, le Canard Enchaîné faisait éclater les suspicions d'emploi fictif de l'épouse du candidat à la présidentielle en tant qu'attaché parlementaire. Jeudi, après son passage au 20h de TF1, François Fillon révélait lui même avoir rémunéré ses enfants avocats pour des missions lors de son mandat de sénateur, alors qu'ils n'étaient en réalité qu'étudiants.

Derrière ces révélations et son onde de choc apparaît la question des mœurs parlementaires. Jean Garrigues, historien et professeur d’histoire contemporaine, était l'invité d'Europe 1 samedi dans C'est arrivé cette semaine pour passer au crible cette tendance de considérer la politique comme une affaire de famille.

"Il n'y a pas cette visibilité". Malgré sa volonté de contre-attaquer, la défense de François Fillon et de ses fidèles lieutenants se montre poussive, voire contre-productive. "Le moins qu'on puisse dire, c'est que ses explications ne sont pas très convaincantes. Un collaborateur parlementaire, c'est quelque chose qui se voit, aussi bien à Paris que dans les circonscriptions. Le collaborateur est très souvent avec le député, il produit des notes, est en contact avec les notables, avec les électeurs, souligne le professeur d'histoire. Et là, manifestement, y compris de la part des autres collaborateurs de François Fillon, il n'y a pas cette visibilité, donc on peut quand même se poser des questions."

Entendu sur europe1 :
François Fillon a considéré que les conseils familiaux de sa femme tenaient lieu d'emploi de collaborateur. C'est quand même une extension un peu poussée de cette fonction.

Une campagne construite sur l'intégrité. Pour faire état d'un réel travail de son épouse, le candidat à la présidentielle a fourni des documents à la justice. Pour servir de preuves, "ils devraient ressembler à plus que des documents", assène l'historien pour qui il faudrait plutôt "des piles, des cartons de dossiers. Sur une législature, il y a de quoi travailler régulièrement. Il y a de l'écrit, il y a des mails... Peut-être qu'on pourra reconstituer a posteriori quelque chose. Manifestement, il a considéré que les conseils plus ou moins fictifs, amicaux, familiaux que lui donnaient sa femme tenaient lieu d'emploi de collaborateur. C'est quand même une extension un peu poussée de cette fonction", juge Jean Garrigues.

"Dans ce climat de défiance et cette exigence éthique d'aujourd'hui, il y a un effet dévastateur sur l'image de François Fillon puisqu'il avait construit sa compagne, entre autres, sur une image d'intégrité", en décalage avec celle de son adversaire de la primaire, Nicolas Sarkozy, "qui avait beaucoup de casseroles". "Les conséquences électorales risquent d'être tout aussi dévastatrices", poursuit l'historien.

"Légal...mais occasionne des abus". De manière globale, à voir "le nombre de parlementaires qui donnent à leur proches", au sein de la famille, voire aux "maîtresses et amants, c'est un phénomène de masse". L'historien avance le chiffre d'une centaine de parlementaires qui se livreraient à ce genre de pratiques. "On dit qu'à une certaine époque, au Sénat, 8% des sénateurs employaient des membres de leur famille. Ce phénomène a d'ailleurs touché d'autres personnalités politiques en vue", ajoute Jean Garrigues, citant Jean-François Copé, Bruno Le Maire, Claude Bartolone.

Même si le travail effectué ne peut pas être remis en cause, la question se pose de changer cette pratique française courante. "C'est tout à fait légal, mais ça ne l'est plus au Parlement européen depuis 2009, ça ne l'est pas à la chambre des représentants américaine ni au Bundestag parce qu'on s'est aperçu, là-bas comme ici, que cela occasionnait des abus."