L’interview de Macron : frustrante, voire décevante pour les éditorialistes d’Europe 1

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© PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP
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Hélène Jouan et Vincent Hervouët, édité par R.D. , modifié à
Sujets manquants, position jupitérienne réaffirmée, la sécurité et l’international laissés de côté…. La première interview télévisée d’Emmanuel Macron a eu comme un goût de trop peu pour les éditorialistes d'Europe 1.
EDITO

L’exercice était particulièrement attendu. Emmanuel Macron donnait dimanche soir sur TF1 sa première grande interview télévisée depuis son accession à l’Elysée, en mai dernier. Mais pour les éditorialistes d’Europe 1, le chef de l’Etat, s’il a assumé son style, est passé à côté, notamment en n’évoquant pas nombre de sujets d’importance, au premier rang desquels la lutte contre le terrorisme.

"Pas de genou à terre pour Jupiter. Mais que de sujets manquants !"

Par Hélène Jouan, chef du service politique d’Europe 1

"Jugeons cet entretien à l’aune des attentes soulevées par ce premier exercice d’interpellations : nous attendions d’être rassurés sur lui - un président peut-il vraiment parler comme ça ?- et surtout éclairés sur la justesse, pour ne pas dire la justice, de ses réformes.

Un j’assume qui rassurera et agacera. Sur le premier chapitre qui fut long comme un jour sans pain, Emmanuel Macron assume crânement tout ce qu’il dit et tout ce qu’il est. Pas une once de regret, pas un semblant d’excuse sur les mots prononcés qui ont pu blesser ou sur la boulette de l’ISF. Le message: "je continuerai à dire les choses, et à vouloir les transformer parce que j’ai dit que je le ferai". Circulez, il n’y a rien à voir. Jupiter a refusé de mettre un genou à terre. Emmanuel Macron a placé son quinquennat sous le signe de la verticalité retrouvée et de l’autorité : dimanche soir, son "j’assume " rassurera ceux qui craignaient qu’il flanche, il agacera un peu plus encore, les autres.

Il a évité les piège de la boîte à outils et du calendrier. Sur le volet des réformes, Emmanuel Macron a évité l’écueil de la boite à outils, - vous vous souvenez du titre ravageur du Parisien au lendemain d’une des interventions de François Hollande "Monsieur bricolage". Non, là, à chaque fois, le président a pris soin de replacer ses réformes sous le diptyque "Libérer, protéger". Libérer, c’est fait avec la loi travail et l’ISF. Protéger, petit coup de barre à gauche pour convaincre qu’il prend soin de "la France qui souffre", c’est à venir, avec l’assurance chômage et l’idée chipée à De Gaulle de l’intéressement des salariés à la bonne marche de l’entreprise.

Emmanuel Macron a eu l’habileté aussi de ne pas laisser enfermer comme son prédécesseur dans un calendrier ou par un indicateur. Les premiers résultats ? "Pas avant un an et demi, deux ans", ça laisse du temps au temps. En revanche le couplet sur "la jalousie des riches" et "les passions tristes" sera sans doute jugé "un peu court" par ceux qui estiment que favoriser les "premiers de cordée" n’a jamais prouvé que ça servait efficacement les derniers.

Que de sujets manquants ! Mais ce que l’on retient aussi, c’est de de la frustration. Que de sujets manquants ! La chute imminente de Raqqa, le risque terroriste mondial avec l’attentat de Mogadiscio, l’avenir de l’Europe avec une extrême droite qui s’invite partout sur le continent - par exemple en Autriche -, la transition écologique, Notre-Dame-des-Landes ? Pas un mot ! Mais à qui la faute ? L’impérieuse nécessité du film du dimanche soir sur TF1 a eu raison de toutes ces questions essentielles. Bon, on en reprendrait bien une petite autre, interview présidentielle, et pas dans cinq mois. En radio peut-être ?"

"La lutte anti-terroriste priorité des priorités de son mandat, pas de son interview"

Par Vincent Hervouët, éditorialiste, spécialiste des questions internationales

"On a été privé de dessert. Ce qui était prévu, c’était un petit tiers de l’émission, en dernière partie. Mais le "maître des horloges" est mal réglé. Cette interview du 15 octobre sans annonce importante, genre bilan d’étape, - "J’assume, je m’explique, je suis le président"-, c’était en fait l’interview du 14 juillet, aussi rituelle que le bal des pompiers.  D’ailleurs, il faisait hier un temps de vacances qui entretenait l’illusion. Emmanuel Macron avait donc trois mois et un jour de retard. Il avait voulu se passer de la corvée, il a fini par se raviser. Morale : le souverain court toujours un risque à désobéir aux traditions qui viennent de plus loin que lui. 

Secundo, on ne peut pas parler "en même temps". Quand on parle, on choisit. Quand on se justifie longuement sur l’ISF, l’APL ou l’assurance chômage, quand on assume le "bordel" et les "fainéants" en faisant de la sémantique, on ne parle plus du régalien. Le chef de l’Etat a vanté ses réformes comme le candidat qu’il était il y a seulement six mois.

Rien sur le "à droite toute" du monde germanique. Depuis mai, il fait pourtant son métier de président, c’est-à-dire qu’il passe le plus clair de son temps à conduire la politique étrangère, à voyager au loin et à recevoir des voyageurs, à être le chef des armées qui font deux guerres et pas seulement des défilés, il s’épuise à comploter pour secouer une Europe obèse. Et on aurait voulu l’entendre, par exemple, tirer les leçons du glissement "à droite toute" du monde germanique sous la pression des migrants, avec l’élection hier d’un chancelier de 31 ans à Vienne et l’arrivée d’une centaine de députés d’extrême droite à Berlin.

Une heure pour en venir à la lutte contre le terrorisme. Alors oui, Emmanuel Macron a quand même parlé de sécurité et aussi de Donald Trump. Mais à 21h04, la première mission de l’Etat qui est d’assurer la sécurité des Français a été enfin évoquée. L’attentat de la gare Saint-Charles. Le président a dit que l’Etat est fort, qu’il s’est adapté. En guise d’épitaphe pour les deux jeunes femmes assassinées : "le risque zéro n’existe pas". Emmanuel Macron avait affirmé que la lutte anti-terroriste serait la priorité des priorités de son mandat. Ce n’était pas la priorité de son interview. Il a mis une heure à y venir. Il l’a évacuée en deux minutes. Il a pris plus de temps pour promettre une police contre les harceleurs.

Au final, que retenir ? Le décor. Pas la fusée Ariane et la lampe de mineur sur la cheminée, ni l’immense toile verdâtre d’Alechinsky, au-dessus, tout ça, c’est pompidolien. Non, l’important, c’est la Marianne. On la connaît en fresque immense sur un immeuble du 13ème arrondissement. Et on connaît le graphiste californien Obey car il a signé le portrait d’Obama, avec le slogan l’espoir, Hope, pendant la campagne de 2007. C’est la référence Obama, le modèle américain, l’icône. Et puis, cette Marianne promet la fraternité. Pas l’égalité. Mais ça, on avait compris".