Exclure ou ne pas exclure ? Le dilemme des Républicains

Bernard accoyer
Bernard Accoyer, secrétaire général des Républicains, doit gérer l'affaire des exclusions potentielles des Constructifs. Pas simple. © Martin BUREAU / AFP
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Le parti peine à s’entendre sur la sanction à appliquer à ses membres "Macron-compatible". Qui ne comptent pas se laisser faire, misant notamment sur la complexité des statuts du mouvement. 

En ce moment, Les Républicains ne manquent pas de ligne de fracture. Sur la ligne politique à adopter, sur la stratégie à suivre vis-à-vis d’Emmanuel Macron, le grand parti de la droite n’en finit pas de se déchirer plus ou moins publiquement. Et voilà que le sort réservé à certains Constructifs - les députés LR qui soutiennent le gouvernement - et aux ministres venus des rangs de la droite, vient diviser un peu plus le mouvement actuellement dirigé par son secrétaire général, Bernard Accoyer, entre les tenants de l’exclusion et les autres. D’autant que les statuts, trop flous,  autorisent les intéressés à contester une éventuelle sanction, qui sera prise mardi soir lors du Bureau politique LR.

L’instance se penchera sur les cas du Premier ministre Edouard Philippe, de Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu - trois ministres - et enfin des députés Thierry Solère et Franck Riester, en pointe dans la constitution du groupe des Constructifs, au côté de l’UDI, à l’Assemblée nationale.

  • Expulsion, suspension ou… pas de sanction ?

C’est Bernard Accoyer lui-même qui résume le mieux la difficulté de l’équation à résoudre pour les Républicains. "Je n'exclus pas l'exclusion", a déclaré le secrétaire général du parti, mardi matin sur France 2, qui ne veut toutefois pas tomber dans "le piège qui serait celui de donner l'image du coupeur de tête sans réfléchir". Plusieurs options sont donc sur la table.

"Si on ne tranche pas clairement…" Il y a d’abord les tenants d’une ligne intransigeante. "Si on ne tranche pas clairement, notre parti va disparaître", tranche ainsi Daniel Fasquelle, trésorier du mouvement, dans L’Express. Eric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes, et Laurent Wauquiez, pressenti pour prendre la tête du mouvement, parle eux d’une "indispensable clarification" pour réclamer la plus forte des sanctions. "On ne reconstruira pas si on est dans l'ambiguïté, un pied dedans, un pied dehors (...). A un moment, il y a des chemins qui diffèrent, il faut en prendre acte de manière totalement apaisée", a aussi plaidé le député de l'Yonne Guillaume Larrivé.

D’autres se prononcent pour une manière différente d’aborder les choses, qui aurait le mérite de rejeter la faute sur les Constructifs. "Je pense qu'il faut simplement constater qu'ils se sont mis en dehors", a estimé pour sa part Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR. "Je ne pense pas qu'il faille exclure, je pense qu'il faut prendre acte du fait qu'ils se sont éloignés du parti", a fait écho le député de l'Oise Eric Woerth.

"Procès staliniens". Il y a ceux enfin, qui plaident pour le statu quo. Et pour laisser le temps au temps. "J'ai dit au secrétaire général des Républicains que je m'opposerai à cette démarche d'exclusion. Sur quelle base nous la ferions ? Il faut d'abord que nous réfléchissions ensemble", a affirmé Gérard Larcher mardi sur Europe 1.  Christian Estrosi est – sans surprise – plus virulent, dénonçant par anticipation des "procès staliniens" si ses camardes étaient exclus.

Une belle cacophonie, donc, qui annonce un bureau politique des plus tendus, comme Les Républicains commencent à en avoir l’habitude. Un bureau politique devant lequel aucun des six élus ou ministres concernés n’a prévu de se rendre.

  • Des statuts flous…

En revanche, certains de ces six-là ne sont pas prêts à se laisser faire. C’est surtout vrai de Thierry Solère, qui a montré sa volonté de se battre mardi matin. D’abord en contestant la légitimité même du Bureau politique. "Cette direction provisoire, qui est issue de l'élection présidentielle, elle n'a aucune légitimité", a-t-il affirmé. "J'aime beaucoup Bernard Accoyer (secrétaire général LR, ndlr), il n'est plus parlementaire, il est maire d'Annecy-le-Vieux, il n'a pas légitimité à exclure ou ne pas exclure des gens, tout ça parce que on ne pense pas la même chose".

" Tout ça, c’est de l'agitation "

C’est à cet instant qu’il faut convoquer, une première fois, les statuts du parti. Ils sont flous, mais édictent tout de même qu’en l’absence de président et de vice-président délégué, c’est bien le secrétaire général, Bernard Accoyer en l’occurrence qui dirige le mouvement dans son ensemble, mais aussi le Bureau politique. Par ailleurs, il est bien stipulé à l’article 24, paragraphe 56, que l’instante exerce "le pouvoir de sanction à l’égard des adhérents titulaires d’un mandat électif (ou) exerçant une fonction gouvernementale".  Légitimité il semble y avoir, donc.

"Il y a deux lignes. C’est aux adhérents de trancher. Si les gens qui sont là par intérim décident de qui peut rester et qui part, alors qu’il y a un congrès dans cinq mois, c’est absurde", répond Thierry Solère, joint par Europe1.fr. "La jurisprudence, c’est que le Bureau politique prononce l’exclusion de ceux qui se présentent en dissidence face à un candidat du parti. Ce n’est évidemment pas le cas. Il n’y a donc statutairement pas à prononcer d’exclusion. Tout ça, c’est de l’agitation."

  • …Et une commission des recours dans le brouillard

Et le député de Boulogne a déjà prévenu : s’il est exclu, il se rendra devant la Commission des recours des Républicains. Cette instance méconnue pourrait-elle devenir la nouvelle Cocoe, cette commission plongée dans la tourmente à l’automne 2012 parce qu’elle était chargée de trancher la sanglante guerre des chefs entre Jean-François Copé et François Fillon ? "Je ne l’espère pas", répond dans un sourire à Europe1.fr sa présidente Sophie Primas. "Je m’attacherai d’ailleurs à ne pas avoir de jugement sur le fond, mais seulement sur le respect du règlement intérieur", précise la sénatrice des Yvelines.

" Il se peut qu’on ne soit pas d’accord sur l’interprétation des textes "

Ledit règlement intérieur n’est pas des plus précis en matière de pratique sanctionnable. Tout juste évoque-t-il, dans l’article 4, paragraphe 5, l’exclusion de "tout adhérent qui aurait enfreint les décisions prises par le Mouvement en matière de candidature ou d’investiture". "On peut avoir des exclusions en raison d’un différend politique sur le fond", assure Sophie Primas.  

Se pose un autre problème. Car parmi les neuf membres de la commission des recours se trouvent Gilles Boyer, conseiller d’Edouard Philippe à Matignon, et Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique, menacé d’exclusion. Pour le second, pas de débat. "On ne peut pas être juge et partie", tranche Sophie Primas. Pour le premier, c’est plus compliqué. "Il va falloir qu’on ait une lecture plus approfondie de nos textes. Mais je sais que Gilles Boyer est un grand lecteur de règlement intérieur", sourit la sénatrice. "Il se peut qu’on ne soit pas d’accord sur l’interprétation".  

  • Une fuite des cerveaux ?

Reste aussi, à mesurer pour les Républicains, les conséquences politiques d’une exclusion groupée.  Les nouveaux bannis pourraient décider de gonfler les forces de formations politiques concurrentes. Les ministres ses poseraient ainsi la question d’un ralliement pur et simple à En Marche !. Quant aux députés constructifs, ils sont la cible d’une main tendue par Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI, pour la formation d’une nouvelle force politique de centre droit. Qui pourrait réduire considérablement le champ politique des Républicains, alors regroupés autour de la ligne identitaire incarnée par Laurent Wauquiez, probable futur président du mouvement.