Emmanuel Macron doit-il craindre un "printemps social" ?

© Mehdi FEDOUACH / POOL / AFP
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La grogne sociale semble monter en puissance dans le pays. Le gouvernement et Emmanuel Macron affichent leur sérénité face à la mobilisation de jeudi, mais les risques de contagion existent.

Un test de plus pour Emmanuel Macron. Mais celui-ci s’annonce d’une ampleur sans précédent. Jeudi, une mobilisation d’une taille probablement inédite depuis l’élection du chef de l’Etat réunira dans toutes la France les opposants à la future de la réforme de la fonction publique et ceux hostiles à celle de la SNCF. Un 22 mars qui fera date, espèrent les syndicats et les opposants politiques du président de la République. Mais du côté du gouvernement, on affiche sa sérénité et on assure même ne pas vouloir diminuer le rythme trépidant des réformes engagées. Pourtant, les fronts sociaux se multiplient, au point d’envisager une convergence, le tout dans un contexte de baisse de la popularité du couple exécutif.

"Des jugements négatifs durcis, consolidés". Dimanche, selon un sondage Ifop pour le JDD, seules 42% des personnes interrogées disaient en effet avoir une bonne opinion d’Emmanuel Macron. Un score en baisse pour le troisième mois consécutif. "Et ça, à quelques jours de l’ouverture de ce conflit, ça n’est pas un atout", juge Europe 1 Bernard Sananès, président de l’institut Elabe, interrogé par Europe 1. "Il y a une montée des mécontentements et moins de patience, aussi. Le mois dernier, pour la première fois, ceux qui sont mécontents sont passés devant ceux qui trouvent qu’il était trop tôt pour juger", précisait le sondeur. "Il se passe bien quelque chose depuis quelques semaines", abonde Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof. "Les enquêtes d'opinion traduisent qu’il y a plus de jugement négatifs qui sont émis qu’auparavant. Et par ailleurs, ces jugements négatifs se sont durcis, consolidés", rappelait le politologue.

"Pouvoir de nuisance". Le risque pour le gouvernement désormais, c’est que toutes les luttes sociales des dernières semaines, concernant les Ehpad, les retraités, l’éducation ou encore les surveillants de prison, s’agrègent à l’occasion du conflit qui s’ouvre avec les cheminots. "Nous n’avons pas plus d’inquiétude aujourd’hui qu’à l’automne, quand on spéculait déjà sur une possible coagulation sociale", répondait lundi Bruno Roger-Petit, le porte-parole de la présidence de la République, au Monde. Sauf que cette fois, la donne est différente. "Le pouvoir de blocage, de nuisance, quand il s’agit d’un conflit dans les services publics, est beaucoup plus fort que pour le Code du travail qui concernait pourtant tous les salariés", relève encore Bernard Sananès. "C’est aussi pour cela qu’on dit que cette semaine est décisive."

Le spectre de 1995. Et quand la SNCF est concernée, fatalement, le spectre de l’automne 1995 resurgit. A l’époque, un mouvement parti précisément des cheminots, qui voulait défendre leur régime spécial de retraite, avait fait tache d’huile, et le gouvernement d’Alain Juppé avait fini par plier face aux plus grandes grèves organisées dans le pays depuis Mai 68. "C’est très différent. En 1995, Jacques Chirac avait fait campagne sur le thème de la fracture sociale. Et c’est vrai que cette réforme sur la SNCF avait été perçue comme une rupture de promesse. Ce n’est pas le cas pour Emmanuel Macron", estime Bernard Sananès.

"Ça n’a rien à voir en apparence", tempère Bruno Cautrès. "Dans le cas d’Emmanuel Macron, il y a quand même un dissymétrie entre la jambe gauche et la jambe droite. Il a vendu l’idée d’être en marche sur ces deux jambes. Et depuis le début de son mandat, il appuie plus sur la jambe droite. Et là, il y a quelque chose qui peut potentiellement jouer des tours à Emmanuel Macron", prévient le politologue.

"Nous allons continuer à réformer en profondeur". Pour l’heure, le président de la République semble n’en avoir cure. "Nous allons continuer à réformer en profondeur", a-t-il prévenu le 11 mars depuis l’Inde."Ça ne s’arrêtera ni demain, ni le mois prochain, ni dans trois mois. Les Français le souhaitent profondément, seuls des commentateurs fatigués voudraient qu’il y ait un terme à ce mouvement." Voilà donc le leitmotiv du gouvernement. Et d’ailleurs, d’autres réformes d’ampleur sont au programme des prochaines semaines : celles de la SNCF et de la fonction publique donc, mais aussi celles de la formation professionnelle, de l’assurance-chômage, de la justice, ou encore de la lutte contre la fraude fiscale.

"Cette rhétorique va commencer à lui poser des problèmes". "Emmanuel Macron conserve un atout qui est de dire : ‘J’ai été élu pour ça’", estime Bernard Sananès. "Il y a beaucoup de critiques, mais pas sur la question du rythme des réformes. Il y a une large majorité qui considèrent que ou c’est le bon rythme ou que ça pourrait aller plus vite. Ils ne sont que 35% à considérer que le rythme est trop rapide", précise le sondeur. "A un moment donné, cette rhétorique va commencer à lui poser des problèmes", nuance Bruno Cautrès. "Parce que certes, il a été élu avec deux tiers des voix, mais certains vont lui rappeler son score du premier tour, qui est ‘la vérité des prix’. C’est vraiment là où on mesure le soutien. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui ont voté Macron au deuxième tour savaient à peu près ce qu’il faisait 15 jours avant."

Attention donc à ne pas trop marteler un message qui pourrait finir par lasser. Et à soigner ses mots. "Dans tout conflit social, il y a la manière dont le conflit est géré. Il y a parfois un mot qui fait déraper", prévient Bernard Sananès, j’en référence au "droit dans ses bottes" resté célèbre d’Alain Juppé en 1995. "Et puis il y a la capacité de l’opinion à supporter la grève." C’est sans doute surtout de cela que dépend la suite du mouvement social. Et par extension, tout le reste du quinquennat d’Emmanuel Macron.