Delphine Batho, c'est exceptionnel

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Sophie Amsili , modifié à
ANALYSE - En 25 ans, seuls deux autres ministres ont démissionné pour avoir exprimé un désaccord avec la politique gouvernementale.

Tout s'est joué en dix heures et la sentence est tombée à coups de tweets.  Mardi, 7h50 : Delphine Batho affirme que le budget 2014 est "mauvais". 15h30 : "La ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie a été convoquée par le Premier ministre à l'Hôtel de Matignon", tweete Matignon. 18h30 : "Sur proposition de Matignon le président a mis fin aux fonctions de Mme Batho et a nommé M. Martin [Philippe Martin, député du Gers, ndlr]", informe le compte Twitter de l'Elysée. La décision de limoger la ministre et la rapidité de sa succession, un "débarquement express" selon certains écologistes, a surpris au point qu'une question s'est vite posée : Delphine Batho a-t-elle été victime d'une sanction excessive, pour l'exemple ?

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Seulement deux autres cas en 25 ans. Depuis l'accession au pouvoir de François Hollande, une seule sanction a été prise contre un membre du gouvernement, d'ailleurs du même ministère. La socialiste Nicole Bricq a occupé le poste de ministre de l'Ecologie au tout début du quinquennat avant d'être priée de prendre le portefeuille du Commerce extérieur en juin 2012 à cause d'un désaccord sur des forages pétroliers au large de la Guyane. Mais même en remontant aux précédents gouvernements, il est rare qu'un ministre soit limogé pour avoir exprimé un désaccord avec la politique gouvernementale. En 25 ans, le cas de figure ne s'est présenté que deux fois : en 1988, Léon Schwartzenberg, ministre délégué à la Santé du gouvernement Rocard est contraint de démissionner neuf jours seulement après sa nomination pour avoir exprimé ses convictions personnelles sur la lutte contre la drogue ou le dépistage du sida. Puis en 1995, Alain Madelin, ministre de l'Economie, quitte ses fonctions après un conflit d'autorité avec le Premier ministre Alain Juppé. Les douze autres cas de démissions sont liés à des affaires judiciaires ou des scandales politiques.

D'autres ministres plus turbulents. Autre motif de surprise : certains ministres ont été plus virulents dans leur propos que Delphine Batho sans subir la même sanction. Par exemple, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg s'était aussi fait remarquer en demandant une "nationalisation temporaire" du site de Florange et en menaçant de démissionner lorsque Jean-Marc Ayrault avait balayé cette hypothèse. La ministre du Logement Cécile Duflot avait, quant à elle, critiqué "la méthode" du gouvernement autour du projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes, critiquant "la répression et le manque de dialogue" et rappelant "son désaccord sur ce projet". La ministre avait également pris position en faveur d'une dépénalisation du cannabis, contrairement à la ligne du gouvernement.

Benoît Hamon et Vincent Peillon, respectivement ministre de l'Economie solidaire et de l'Education nationale, avaient, eux aussi, réclamé un changement d'orientation de la politique suivie par le gouvernement. Sans être immédiatement limogés, ni même rappelés publiquement à l'ordre par le Premier ministre.  

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Le chef de l'Etat avait "averti". Alors y a-t-il "deux poids deux mesures" au sein du gouvernement comme le dénonce selon Jean-Vincent Placé, chef de file des sénateurs écologistes ? Plusieurs facteurs se sont en fait combinés pour entraîner le renvoi de Delphine Batho. Premièrement, la ministre a fait les frais d'une volonté réaffirmée du président de la République d'asseoir son autorité et d'assurer la cohérence de l'exécutif. Fin mars, François Hollande avait ainsi prévenu sur France 2 : "Il ne peut pas y avoir la moindre erreur, la moindre imprudence, la moindre expression malheureuse parce que c'est trop dur pour les Français. Ce que je dis est une forme d'avertissement."

Or, Delphine Batho a non seulement critiqué le gouvernement mais en s'attaquant au budget, elle a franchi "la ligne rouge", selon une source gouvernementale citée par l'AFP. "La décision a été prise au nom de la cohérence d'expression gouvernementale", a justifié le ministre des Affaires Etrangères, Laurent Fabius, évoquant un "avertissement" pour le reste du gouvernement.

"Ni très connue ni très populaire". Et puis Delphine Batho n'est pas Arnaud Montebourg. "Il y a des ministres qui peuvent le faire [critiquer le gouvernement], et qui sont immunisés par leur score à la primaire socialiste. Ce n'est pas le cas de Delphine Batho", a ainsi jugé le ministre écologiste Pascal Canfin, invité sur Europe 1 mardi soir. Delphine Batho "n'a auprès de l'opinion ni la popularité ni la notoriété qui aurait pu la protéger. Elle est au fond ni très connue ni très populaire", souligne de son côté François Miquet-Marty, de l'institut Viavoice.

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Enfin, le portefeuille du ministère de l'Ecologie n'est pas le plus central dans la stratégie du gouvernement. De là à dire que l'exécutif néglige les questions environnementales, il n'y a qu'un pas que les écologistes ont aisément franchi : Delphine Batho n'est qu'une victime collatérale de l'absence totale d'ambition environnementale du gouvernement et du Président de la République", a ainsi dénoncé l'ONG Greenpeace.