Délit d'entrave numérique à l'IVG : un débat sous haute tension

© PHILIPPE LOPEZ / AFP
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Une proposition de loi socialiste pour élargir le délit d'entrave à l'IVG à certains sites internet est examinée jeudi à l'Assemblée. Et promet d'agiter les rangs des députés.

Plus de quarante ans après la loi Veil, l'IVG continue de susciter des débats houleux au Parlement. Une proposition de loi socialiste et écologiste examinée à l'Assemblée nationale jeudi sur le sujet promet en effet de rencontrer une vive opposition de la part de la droite et l'extrême droite.

Fermer des sites orientés. Ce texte propose d'étendre le délit d'entrave à l'IVG à certains sites internet, comme ivg.net, ecouteivg.org ou afterbaiz.com qui, sous couvert d'information sur l'avortement, donnent en réalité des conseils orientés aux femmes pour les dissuader de pratiquer une IVG. Ces sites "trompent volontairement, intentionnellement des femmes", a déclaré Marisol Touraine, ministre de la Santé, sur France 2 mercredi. Pour le ministère de la Famille, ce sont des "paravents de groupes anti-IVG".

La droite défend la "liberté d'expression". Mais pour la droite, il ne s'agit là que de liberté d'expression. Interdire ces sites viendrait contrevenir à ce droit fondamental. "Ce que l'on souhaite, c'est que l'information soit complète", a ainsi expliqué Isabelle Le Callennec, députée LR, sur RMC mercredi. "Le ministère a mis en place un service internet où l'on peut se renseigner sur l'IVG, il y a des associations aujourd'hui qui disent qu'il peut y avoir des alternatives à l'IVG. Où est le mal ? Dans notre pays, il faut être capable d'accepter qu'on a la liberté de choix." Le groupe Les Républicains, emmené par son chef de file Christian Jacob, a donc d'ores et déjà prévenu qu'il voterait contre la proposition de loi.

Un contexte politique très particulier. Ce n'est évidemment pas la première fois que l'opposition ne vote pas une loi approuvée par le gouvernement. Et des textes ou des amendements polémiques sur le droit à l'avortement arrivent à intervalles réguliers au Parlement. Mais cette fois-ci, le contexte politique particulier risque d'exacerber encore les tensions. La campagne de la primaire de la droite a en effet remis la question de l'avortement sur le devant de la scène, le favori –et finalement vainqueur- du scrutin, François Fillon, étant pointé du doigt pour son conservatisme en la matière. Isabelle Le Callennec est d'ailleurs l'un de ses fidèles soutiens. Les discussions autour de cette proposition de loi seront donc l'occasion, pour ceux qui bénéficient aussi de la dynamique populaire autour de leur champion, de faire entendre leur voix.

"Il suffisait d'une étincelle pour que ça explose". L'examen du texte en commission des Affaires sociales, la semaine dernière, au beau milieu de la campagne d'entre-deux tours de la primaire, avait déjà donné lieu à de sérieuses prises de bec entre les élus. Alain Ballay, député socialiste, avait trouvé "inquiétant" de constater que "certains hommes politiques" puissent vouloir "revenir" sur le droit à l'avortement, avant d'être interrompu par les protestations et les insultes de l'opposition. La présidente de la commission, la socialiste Catherine Lemorton, avait été obligée de suspendre la séance au bout d'une dizaine de minutes. "J'ai eu l'impression qu'on était dans une bonbonne de gaz et qu'il suffisait d'une étincelle pour que ça explose", avait-elle dit ensuite lors de la reprise des débats. C'est dire si la tension est grande sur le sujet.

" J'ai eu l'impression qu'on était dans une bonbonne de gaz et qu'il suffisait d'une étincelle pour que ça explose. "

Un amendement déjà évincé au Sénat. Fin septembre, l'éviction d'un amendement du gouvernement sur le délit d'entrave numérique avait déjà mis le feu aux poudres. Le Sénat avait en effet jugé l'amendement irrecevable, parce qu'il s'agissait d'un cavalier législatif. Autrement dit, il avait été ajouté au projet de loi Egalité et Citoyenneté, mais les sénateurs ont considéré que, n'ayant rien à voir avec ce texte, il n'avait rien à faire là. Plus de cent autres amendements divers et variés avaient d'ailleurs subi le même sort. Mais, déjà, les réactions avaient été virulentes. Du côté des opposants, on s'était félicité bruyamment d'une décision qui n'avait pourtant rien à voir avec le fond du texte. Quant à la ministre des Familles, Laurence Rossignol, elle avait immédiatement accusé les "lobbies anti-IVG" d'avoir "actionné des leviers et des réseaux" pour influencer les sénateurs. Alors même que cette procédure d'irrecevabilité est monnaie courante.

Crispation générale. L'ensemble de la classe politique semble donc crispée sur ces sujets. Sans compter que l'Église est aussi intervenue, par l'intermédiaire du président de la Conférence des évêques de France, Monseigneur Georges Pontier. Dans une lettre envoyée lundi, ce dernier a demandé à François Hollande d'intervenir pour s'opposer à l'extension du délit d'entrave. Une ingérence dans le débat public mal vécue par plusieurs députés PS, qui ont adressé à l'évêque une mise au point. "La loi n'est pas dictée par des considérations spirituelles", ont-ils notamment écrit, rappelant également que le président de la République n'avait aucun moyen de forcer la main du Parlement.