Déchéance de nationalité : retour sur un coup de théâtre

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Margaux Baralon avec Aurélie Herbemont , modifié à
VOLTE-FACE - Malgré les déclarations contradictoires des membres du gouvernement, François Hollande a décidé, mercredi, de maintenir l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux dans la réforme de la Constitution.

C'est l'ultime volte-face que plus personne n'attendait. François Hollande a finalement maintenu la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux nés en France. Son projet de loi de modification de la Constitution, présenté mercredi en Conseil des ministres, contiendra bien cette mesure pourtant controversée au sein de son propre camp.

De promesses en reculades. Promise par François Hollande aux parlementaires réunis en Congrès trois jours après les attentats du 13 novembre, la déchéance de nationalité semblait depuis plusieurs jours et jusqu'à ce matin abandonnée. De nombreuses voix, à gauche, avaient reproché à cette mesure d'être marquée à l'extrême-droite et de contrevenir aux principes républicains. Manuel Valls lui-même avait pris ses distances, la semaine dernière, avec une idée selon lui plus symbolique que réellement efficace, qui risquait de diviser la gauche. Mardi enfin, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, avait assuré à la télévision algérienne que le projet de loi de réforme constitutionnelle "ne retenait pas" la déchéance de nationalité. Seul l'Elysée s'est, jusqu'au bout, refusé au moindre commentaire.

Une mesure très encadrée. Et pour cause. Finalement, François Hollande n'a pas renoncé. Et c'est Manuel Valls qui s'est chargé de l'annoncer officiellement à la sortie du Conseil des ministres. "Comme l'a annoncé le président de la République devant le Congrès, le gouvernement a décidé de soumettre au Parlement l'extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux", a déclaré le chef du gouvernement. "C'est une sanction lourde que la nation est légitimement en droit d'infliger" aux personnes reconnues coupables d'actes terroristes. Le Premier ministre a par ailleurs rappelé que la mesure était "à caractère hautement symbolique" et serait très encadrée. Ainsi, seule une condamnation définitive édictée par un tribunal indépendant, pour une faute très grave, justifiera une déchéance de nationalité. En outre, celle-ci "ne permettra pas d'échapper à la justice", a rappelé Manuel Valls. Ce n'est qu'après avoir purgé la peine à laquelle ils auront été condamnés en France que les auteurs d'actes terroristes seront déchus de leur nationalité et expulsés du territoire.

Fiasco de communication. S'il permet à François Hollande de réaffirmer son autorité, ce coup de théâtre ressemble fort, pour l'exécutif, à un fiasco de communication. Et un désaveu pour Christiane Taubira, que Manuel Valls a cependant tenté de minimiser. "Chacun a droit à ses doutes, à ses interrogations, à ses questionnements et à ses analyses", a souligné le Premier ministre. La garde des Sceaux, de son côté, a simplement rappelé que "la parole première" et "la parole dernière" étaient "celles du président de la République". Interrogée sur une éventuelle démission, Christiane Taubira a botté en touche : "Ce qui est important, ce n'est pas ma présence ou non au sein du gouvernement." Quant à Manuel Valls, il a semblé exclure cette possibilité, assurant que la ministre de la Justice et lui défendraient "ensemble ce texte devant le Parlement".

La droite devrait soutenir le texte. Les débats devraient commencer à partir du 3 février à l'Assemblée nationale. Et le maintient de la déchéance de nationalité dans le texte rebat les cartes. François Hollande met en effet la droite dos au mur. L'opposition, qui s'était offusquée d'une probable suppression de la mesure, ne peut plus l'accuser de mettre fin à l'union nationale ni de ne pas tenir ses promesses. Elle se trouve dans la quasi obligation de soutenir la réforme.

La gauche divisée. Mais en éteignant ce feu de contestation, le chef de l'Etat en a rallumé un autre, à sa gauche cette fois. L'extension de la déchéance de nationalité était une ligne à ne pas franchir pour bon nombre d'élus de la majorité. Si Manuel Valls a déclaré mercredi avoir "confiance dans la responsabilité de la majorité comme de l'opposition" pour le vote du texte, certains s'annoncent difficiles à convaincre. "Je suis scandalisé, triste, affligé, stupéfait", a ainsi réagi le député socialiste Pouria Amirshahi sur Europe 1. "Prendre une mesure de déchéance de nationalité est tout à fait contraire à nos principes républicains. Cette mesure est totalement stupide. Je ne voterai pas cette réforme constitutionnelle."