Comment Macron et Mélenchon veulent s'émanciper des partis

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Avec "La France insoumise", Jean-Luc Mélenchon tente, comme Emmanuel Macron avec "En Marche", de faire son chemin en dehors des partis traditionnels. © MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
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Flavien Ramonet , modifié à
"En Marche" et "La France insoumise" ont été pensés pour sortir du carcan traditionnel du parti politique.

Les partis politiques, très peu pour eux. Les mouvements d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon, respectivement "En Marche" et "La France insoumise", ont été construits hors des formations traditionnelles. Un moyen pour ces hommes politiques, qui ne sont pourtant pas franchement du même bord, de se démarquer, mais aussi d’être en prise directe avec leurs soutiens, sans institutions intermédiaires. L'un jean-Luc Mélenchon, a présenté les principaux axes de son programme mardi. L'autre, Emmanuel Macron, lance la "grande marche", sa campagne de porte à porte samedi matin. Analyse d’une nouvelle façon de faire de la politique.

  • Des mouvements à la pointe de la politique 2.0

Des professionnels de l’outil. Premier élément remarquable : la maîtrise qu’ont ces mouvements de l’outil informatique. Le site de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, jlm2017.fr, fonctionne avec NationBuilder, un logiciel électoral américain, inspiré de celui utilisé par Barack Obama pour sa réélection en 2012, et également utilisé par quatre candidats à la primaire de la droite (Alain Juppé, François Fillon, Bruno Lemaire et Nathalie Kosciusko-Morizet). "Quand quelqu’un va sur le site, il peut appuyer la candidature de Jean-Luc Mélenchon en mettant son mail, et il reçoit un message qui l’invite à indiquer ce qu’il est prêt à faire pour agir et à indiquer ses compétences", explique à Europe 1 Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Si, par exemple, vous savez faire du montage vidéo, alors les équipes du candidat, grâce à des mails ciblés, vous proposeront des missions précises où votre compétence pourra servir à aider la campagne.

Le principe est à peu près le même sur le site du mouvement d’Emmanuel Macron, créé par l’agence Jesus & Gabriel (http://www.jesusetgabriel.com/), des publicitaires qui s’occupent, entre autres, de TF1, Eurostar, Quick, et Vinci. Dans les deux semaines qui ont suivi le lancement du mouvement, 11.000 sympathisants auraient, après y avoir laissé leurs coordonnées, répondu positivement à un mail leur proposant d’être volontaires pour l’opération de porte-à-porte du mouvement, assure Julie de la Sablière, responsable communication d’"En Marche". Et pour cette opération de porte-à-porte justement, les réponses données par les personnes interrogées seront directement transmises sur une application pour faire remonter l’info plus rapidement.

Par ailleurs, sur les deux sites, une fois inscrit, l’utilisateur dispose d’un compte personnel. La pratique est assez banale sur internet (Youtube, Facebook, Twitter, etc.), et pourtant, aucun site de parti politique ne propose cette fonction.

Le rôle central des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont le principal organe de communication de ces mouvements. Pour le professeur en sciences politiques Laurent Bouvet, "ils présentent des avantages indiscutables pour ces organisations, avec un double rôle. D’abord, une médiatisation alternative, avec des personnalités qui n’ont plus besoin d’avoir accès aux grands médias pour pouvoir jouer un rôle dans le débat public. C’est un moyen de mettre en place un contact direct avec les citoyens", explique l’essayiste. "Ensuite, une diminution forte du coût de la communication politique, puisqu’intervenir sur les médias sociaux coûte beaucoup moins cher que des meetings, des campagnes publicitaires, etc." Le politologue cite l’exemple de Donald Trump, qui a pu se reposer sur le buzz autour de ses déclarations sur les réseaux sociaux pour faire sa publicité.

Chez "En Marche", une part importante de la communication se fait via Facebook Live (une fonction du réseau social qui fonctionne sur le même principe que Périscope). Des formations au porte-à-porte y sont données en direct et Emmanuel Macron lui-même va y présenter le lancement de la "grande marche" (la campagne de porte-à-porte) ce samedi matin.

  • Des mouvements participatifs

Adhésions gratuites, possibilité d’être membre de n’importe quel parti à côté et zéro obligation : on est loin des contraintes des partis traditionnels. "Dans le Front de Gauche, nous sommes mort de l’incapacité à proposer un cadre dans lequel tout le monde puisse être à sa place, avec ou sans carte de parti. Je ne propose pas aux gens de m’épouser", affirme ainsi Jean-Luc Mélenchon. "Je demande seulement qu’on dise si on est d’accord entre nous sur un programme d’action pour changer ce pays. Le seul contrat qui prévaut entre nous, c’est l’accord sur le programme et sur la démarche."

Et l’absence de ces contraintes semble porter ses fruits : plus de 100.000 soutiens à la candidature de Mélenchon ont déjà été recueillis sur le site internet. Dans les deux organisations, on nous assure même qu’au sein de leurs forces, il y a une majorité de personnes qui n’ont jamais eu d’engagement politique.

Groupes d’appui, collecte de fonds et parrainage. Chez Mélenchon, fini la location de bâtiments pour les sections de parti politique. Place aux "groupes d’appui" que chacun peut créer et qui se réuniront, dans un café, dans un parc ou même au domicile. On en dénombre déjà un millier. "Un groupe d’appui est une petite structure pour agir près de chez soi : en distribuant des tracts, en collant des affiches ou des autocollants, et en organisant des "écoutes collectives" des émissions, pour pouvoir en débattre ensemble", explique Manuel Bompard.

"Les membres peuvent aussi essayer de collecter des fonds et aller chercher des engagements à parrainer la candidature de Jean-Luc Mélenchon", poursuit le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Le candidat affirme ainsi avoir recueilli 140 promesses de parrainages d’élus jusqu’à maintenant, sur les 500 requises pour être candidat à l’élection présidentielle.

Un bon plan en termes de finance. Fini aussi les partis qui arrosent leurs sections de tracts qui vont souvent pourrir oubliés dans des cartons. Sur jlm2017.fr, les particuliers achètent tracts, autocollants, affiches. Deux millions de tracts ont ainsi été commandés. Et quand les gens achètent, alors on peut imaginer qu’il y a beaucoup plus de chance que cela soit distribué. C’est ce qui s’appelle être gagnant sur les deux plans : politique et financier.

Surtout que ces mouvements ont besoin de financement, et là encore, on compte sur le côté participatif : les dons de particuliers. C’est la seule source de financement d’"En marche", qui dit avoir recueilli à ce jour 400.000 euros. Chez Mélenchon, on mise sur la formule magique de la campagne de Bernie Sanders aux Etats Unis : les micros-dons. On peut donner juste 3 euros pour soutenir le candidat.

C’est même sur une plate-forme participative que le programme de "La France insoumise" est en cours d’élaboration, avec plus de deux milles contributions de citoyens. De jeunes "rapporteurs" ont la charge de synthétiser les textes reçus afin de présenter un programme en octobre.

  • Une "ubérisation" de la politique ?

"Fin de cycle" pour les partis. Pour le politologue Laurent Bouvet, les raisons qui expliquent l’apparition de ces mouvements hors des partis sont multiples. La cause est pour lui d’abord institutionnelle : c’est un aboutissement logique de la Ve République et de son régime présidentiel qui pousse à la personnalisation de la politique.  Mais c’est aussi un symptôme de la crise de confiance qui traverse la politique traditionnelle, et qui n’épargne pas les partis. Le chercheur n’hésite pas à évoquer une "fin de cycle" du modèle "centenaire" des partis traditionnels.

Sur les réseaux sociaux, on peut voir que certains militants du Parti de Gauche, fondé par Mélenchon, annoncent qu’ils quittent le parti. Mais, fait remarquable, ils déclarent qu’ils vont quand même rester des "insoumis en militant pour la campagne de Mélenchon. Ils justifient leurs départs du parti en expliquant que le parti est un concept "complètement dépassé". "Les partis sont trop cadenassés", "ne plus être dans le carcan d'un parti permet d'être plus libre", "c'est bien au-delà des partis qu'il faut investir son temps pour construire une alternative collective", peut-on lire ici ou là.

Ces mouvements montrent une adaptation de la politique à la modernité, et notamment à l’ère du numérique. Lorsqu’on lui demande si on peut parler d’une "ubérisation de la politique", Laurent Bouvet approuve  "à la fois parce que ça contourne le système, comme Uber contourne les taxis, parce que ça utilise les nouvelles technologies numérique et parce qu’on diminue les coûts".

"Un système institutionnel ne meurt pas du jour au lendemain". Mais il ne faut pas se leurrer. Macron et Mélenchon n’ont pas lancé ce type de mouvement pour innover, ils y étaient contraints pour exister. Macron ne dispose d’aucun appareil. Mélenchon, quant à lui, a rompu avec ses partenaires du Front de Gauche. Le but affiché est de clarifier les positions, éviter d’être "illisible". Exemple avec le nucléaire : alors que le Front de Gauche proposait en 2012 un référendum sur sa sortie comme compromis des positions de chacun chacun (Mélenchon était contre l'utilisation de cette énergie, le Parti Communiste pour), cette fois, le mouvement de Mélenchon prend clairement position contre. Le candidat, qui depuis est présenté comme "seul" par de nombreux médias, a besoin de son mouvement pour tenter de démontrer le contraire/

Mais, "la question de la candidature à la présidentielle est simple. Il est beaucoup plus compliqué de trouver les 577 autres candidats qu’il va nous falloir pour les élections législatives", concède-t-il. Il y a encore du chemin à faire, donc, pour pouvoir se passer des partis politiques. Laurent Bouvet rappelle que, jusqu’à maintenant, ceux qui lançaient ce type de mouvement se sont contenté de contourner les partis seulement dans un premier temps, afin d’ensuite s’imposer à eux une fois qu’ils avaient suffisamment capitalisé sur leurs mouvements, comme ce fût le cas de Ségolène Royal en 2007 avec "Désir d’avenir". "Les partis sont des forces d’inerties puissantes. Un système institutionnel ne meurt pas du jour au lendemain", met en garde Laurent Bouvet.