Comment le gouvernement a retourné sa veste sur le Tafta

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Margaux Baralon
VOLTE-FACE - Manuel Valls a menacé mardi d'abandonner les négociations autour du traité de libre-échange transatlantique. Cette fermeté gouvernementale est très récente, après des années de louvoiement.

C'était il y a deux semaines, sur le plateau de l'émission "Dialogues Citoyens". Entre la loi El Khomri et "Nuit debout", François Hollande avait mentionné le Tafta, ce traité de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Le président s'était alors fait l'écho des nombreuses inquiétudes autour de ce traité. "S'il n'y a pas de réciprocité, s'il n'y a pas de transparence, si pour les agriculteurs il y a un danger, si on n'a pas accès aux marchés publics, et si en revanche les Etats-Unis peuvent avoir accès à tout ce que l'on fait ici, je ne l'accepterai pas."

Une déclaration à valeur d'avertissement, reprise de manière plus catégorique encore, mardi, par Manuel Valls. "Je veux être très clair", a lancé le Premier ministre lors de son discours de clôture de la conférence environnementale. Le Tafta "ne pourra pas aboutir s'il n'apporte pas les garanties que le niveau d'exigence que nous avons en France pour la santé et l'environnement de nos concitoyens sera maintenu."

Silence radio pendant la campagne de 2012. La charge gouvernementale est donc lancée contre le Tafta, en discussion depuis trois ans. Cette fermeté, qui coïncide avec la 13e session de négociations démarrée lundi à New York, illustre une inflexion sensible du discours de l'exécutif. Pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir de l'assourdissant silence de François Hollande sur le sujet lors de la campagne de 2012. À l'époque, pourtant, certaines voix à gauche, notamment celles de Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg, s'élèvent contre le projet de traité, dans les cartons de l'Union européenne depuis les années 1990. Une fois élu, François Hollande, lui, accepte de donner un mandat à la Commission européenne pour qu'elle négocie le traité.

L'exécutif défend le Tafta au début du quinquennat. Au silence succède ensuite l'assentiment. Certes, la France n'a jamais cessé d'exiger des garanties de la part des Etats-Unis, ni de fustiger le manque de transparence autour de la négociation du traité. Mais l'exécutif prend soin, entre 2013 et 2014, de mettre en avant les points positifs d'un accord de libre-échange transatlantique, notamment en termes d'emploi. "Je pense sincèrement que [le Tafta] peut démultiplier les partenariats entre nos deux continents et faciliter le développement des PME et des entreprises de taille intermédiaire, au cœur de la stratégie pour l'emploi du gouvernement", écrit ainsi, en 2013, Nicole Bricq, alors secrétaire d'État au commerce extérieur.

" Je pense sincèrement que [le Tafta] peut faciliter le développement des PME. "

"Nous avons tout à gagner à aller vite." Sa successeur à ce poste, Fleur Pellerin, appelle quant à elle, à plusieurs reprises, à "dédramatiser" les débats, pointant les bienfaits que pourrait avoir un accord sur les exportations françaises. En février 2014, François Hollande franchit un nouveau cap. Lors d'une conférence de presse commune avec Barack Obama, le président français appelle à "aller vite" sur le Tafta. "Sinon, nous savons bien qu'il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations."  

Ni pour, ni contre, bien au contraire. La campagne des élections européennes, au printemps 2014, bouscule les plans du chef de l'État. En effet, le Front de gauche et les écologistes mettent le sujet, et leur opposition catégorique à tout accord de libre-échange, sur le devant de la scène. Gêné aux entournures, le PS se fait discret. François Hollande aussi, ce qui ne manque pas de faire réagir ses adversaires à gauche. "À six jours des élections européennes, le président de la République n'a toujours pas dit un mot public sur l'enjeu du Grand Marché Transatlantique pour la France", fustige ainsi Jean-Luc Mélenchon sur son blog, le 19 mai 2014. Le louvoiement permanent de l'exécutif est parfaitement résumé, en juillet 2014, par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, qui a alors récupéré le Commerce extérieur dans son giron. "Sur ce qu'on appelle le traité transatlantique, je n'ai pas a priori de position pour ou contre", annonce-t-il sur France Culture.

Matthias Fekl en première ligne. C'est l'arrivée de Matthias Fekl au Commerce extérieur, lors du remaniement de septembre 2014, qui change la donne. Le nouveau secrétaire d'Etat s'emploie à dénoncer le traité transatlantique. Un an après sa prise de poste, il dénonce le "manque total de transparence" des négociations et "l'asymétrie" entre les exigences européennes et américaines dans une interview au quotidien régional Sud-Ouest. "Nous devons défendre nos valeurs, notre conception de l’Etat-providence, nos choix de santé, alimentaires, de services publics et culturels."

" Nous devons défendre nos valeurs, notre conception de l’Etat-providence, nos choix de santé, alimentaires, de services publics et culturels. "

Un coup politique à jouer à gauche… Désormais, c'est ce discours qui prévaut au sein de l'exécutif. Il faut dire que c'est, politiquement, bien plus intéressant qu'un statu quo pour François Hollande. Le traité de libre-échange est très impopulaire. A titre d'exemple, le mouvement "Nuit debout" n'a pas manqué de s'emparer du dossier, allant jusqu'à se déclarer zone "hors Tafta" à Bordeaux. Au sein de la classe politique, les écologistes comme l'extrême-gauche n'ont pas bougé d'un iota sur la question et rejettent en bloc le traité. Avancer la fermeté en bandoulière permet donc à François Hollande de renouer avec ceux qui l'ont soutenu en 2012, ainsi que leurs électeurs.

…et à droite. Mais c'est également un geste qui parlera à droite. Le Front national a toujours été vent debout contre ce "jeu de massacre ultralibéral", selon Marine Le Pen. Quant aux Républicains, ils sont déchirés entre le libéralisme traditionnellement défendu par leur camp et leur discours souverainiste. En défendant les intérêts de la France, François Hollande sait donc qu'il a un coup à jouer. Et ce d'autant plus que, du côté américain aussi, les négociations semblent compromises. Le mandat de Barack Obama touche à sa fin et ses deux successeurs les plus probables, Hillary Clinton comme Donald Trump, ne sont pas attachés au Tafta.

Après des années d'hésitations, la gauche passe donc à l'offensive. Parfois un peu maladroitement, à l'image de Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, qui n'a pas hésité à interpeller directement sur Twitter Barack Obama, pour réclamer plus de "réciprocité" dans les négociations.