Attentats et uniforme à l'école : quel est le rapport ?

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DÉBAT - Quelques élus brandissent de nouveau l'idée d'un retour de l'uniforme, depuis les attentats de la semaine dernière.

Les élèves français doivent-ils porter un uniforme en classe ? Une semaine après les attentats qui ont frappé le France et face à la montée des intégrismes, plusieurs voix se font entendre pour réintroduire davantage de discipline républicaine à l'école. Et l'idée d'un retour à l'uniforme en séduit quelques-uns, notamment à droite. "Moi les uniformes, j'y suis favorable. Cela permet de dire : on est tous semblables", a ainsi fait savoir Bruno Retailleau, président du groupe UMP au Sénat, vendredi matin sur Europe1.

"Le port d’un uniforme dans les écoles, les collèges et les lycées doit redevenir la règle. Cela permettrait de redonner aux élèves la conscience qu’être à l’école, c’est être dans un lieu spécifique, républicain et protecteur", avait également plaidé, la veille, le député UMP de Paris Bernard Debré.  "Cela permettra aussi de préserver l’école de certaines discriminations et de tensions sociales pour en faire, ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, un véritable lieu d’égalité, de transmission et d’intégration où l’élève se sent appartenir à une seule communauté, la communauté éducative", avait renchéri l'élu, qui s'exprimait dans un communiqué.

>> Mais porter l'uniforme peut-il vraiment contrer la montée du radicalisme ? Est-il légitime d'en parler maintenant ? Le sujet clive.

Pour : l'uniforme renforcerait la cohésion. "C'est légitime de parler de ça maintenant, dans le sens où il faut mettre l'accent sur la manière dont l'école s'occupe de ces enfants, dont elle prévient le radicalisme", estime pour sa part François Durpaire, maître de conférences en sciences de l’éducation et auteur de La fin de l'école. L'ère du savoir-relation. "Les services de renseignement, la politique anti-terroriste, c'est le bout de la chaîne. L'école, c'est le début", martèle-t-il.

Outre la question de la légitimité d'en parler, se pose celle de l'efficacité de l'uniforme dans la prévention de la radicalisation. Et pour François Durpaire, ça vaut le coup d'essayer. "Le port de l'uniforme crée du collectif. Cela peut donner un sentiment d'appartenance à un même projet, à l'école, à la République, à l'Europe, à la nation. Ça peut rendre fier d'appartenir à tout ça", plaide le chercheur, qui se dit "plutôt de gauche"… et comprend difficilement pourquoi c'est la droite qui se positionne sur le sujet.

"Historiquement, la droite a plutôt tendance à dire : l'école sert à apprendre des choses concrètes, les maths, le français. Pour l'éducation 'morale', c'est aux parents de se responsabiliser. Avec le port de l'uniforme, je pense que la droite considère l'aspect autorité. Mais on peut aussi le voir sous l'angle de la création d'une cohésion", décrypte-t-il.

Contre : ça risque d'être contreproductif. Mais tout le monde ne partage pas cet avis. Pour certains, le rapport entre uniforme et terrorisme ne va pas de soi, au contraire. "C'est proprement effarant, et même grotesque, de parler d'uniforme face à de tels problèmes. En quoi un uniforme aurait donné envie aux enfants qui l'ont refusé de faire la minute de silence pour les victimes de la fusillade de Charlie Hebdo ? Cela n'aurait rien changé du tout", tacle pour sa part Michel Fize, sociologue spécialisé dans les questions d'éducation, et auteur de l'adolescence pour les Nuls.

"Il ne faut pas être dogmatique, parler d'uniforme n'est pas tabou. Mais arriver comme ça du jour au lendemain et l'imposer dans toutes les écoles, ce serait imbécile. Cela peut même être contre-productif : cela peut renforcer la haine envers l'autorité. Il suffirait d'y ajouter "je suis Charlie", et ça n'aurait plus aucun sens, en tout cas avec les élèves auprès de qui c'est censé en avoir", poursuit le spécialiste. Qui insiste : "pour que cela marche, il faut que les élèves soient d'accord, voire qu'ils en fassent la demande, pour afficher leur fierté d'appartenir à l'établissement. À l'Internat d'Excellence de Sourdun, par exemple, l'uniforme a été introduit après concertation auprès des élèves. Sinon ça n'a aucune efficacité".

Le mot uniforme est-il vraiment juste ? Pour Michel Fize, le mot "uniforme" en lui-même pose problème. "C'est un mot qui donne une impression militaire, rigide.  A la limite, parler de "blouse", ou de T-shirt comme à La Réunion, pourquoi pas", précise-t-il. Si le mot ne choque pas François Durpaire, le chercheur reconnaît que l'uniforme strict ou le tailleur à l'ancienne n'est pas forcément la meilleure solution pour susciter l'adhésion envers les valeurs républicaines. "On n'est pas obligé d'avoir un uniforme strict, inspiré de l'armée, ni même une blouse. On peut penser aux uniformes anglo-saxons : un blaser, un signe ou un logo par exemple", propose-t-il.

Il y a d'autres mesures prioritaires. Tout le monde s'accorde, en revanche, à dire que l'uniforme ne peut pas, seul, résoudre le problème du "mal de l'école", pour reprendre les termes de Bruno Retailleau. "Imposer l'uniforme seul, ça n'a pas de sens. Ca peut être un plus à inclure dans un ensemble", estime François Durpaire. "L'enseignement de la Marseillaise, par exemple (pas seulement les paroles, mais son histoire, son sens) serait une bonne manière d'apprendre les valeurs républicaines. Ou l'éducation aux médias par exemple : expliquer le fonctionnement des rédactions, apprendre à faire la différence entre un contenu journalistique et une vidéo de propagande. C'est sûr, c'est bien plus important que l'uniforme. Mais l'uniforme est aussi intéressant", renchérit-il.

"Imposer le drapeau sur le fronton des écoles, apprendre la Marseillaise aux élèves etc. Ca, ça aurait du sens", confirme Michel Fize. "Un hymne ou un drapeau sont des éléments forts d'appartenance, de communion. On voit bien ce qu'il y a derrière l'uniforme en revanche : la remontée des idées réactionnaires, sous couvert de patriotisme".