La langue de Brassens a-t-elle vieilli ?

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30 après sa mort, l'éternel moustachu continue de fasciner la jeune génération de chanteurs.

Georges Brassens est aujourd'hui pour les jeunes auteurs-compositeurs ce que représente Zinédine Zidane pour les footballeurs : une référence inamovible. Trente ans après sa mort, le 29 octobre 1981, le célèbre moustachu a conservé sa place dans la chanson française, parmi les légendes. Le mythe est intact, mais qu'en est-il de ses textes ?

La jeune génération était à peine née lorsque le Sétois a cassé sa pipe en 1981. Interrogée par Europe1.fr, elle considère toujours son oeuvre avec respect, tout en s'en détachant.

"Entre la fable, la nouvelle et le poème"

On ne bouscule pas les légendes aussi facilement. Mais Raphaële Lannadère, de son nom de scène "L", y va tout de go : "Pour moi, chanter une de ses chansons serait un peu abrupt. C'est tellement dense. On est entre la fable, la nouvelle et le poème", résume la chanteuse nommée au prix Constantin 2011, qui cite malgré tout le Supplique pour être enterré sur la plage de Sète et La non-demande en mariage comme "bijoux exceptionnels".

Benoît Dorémus, parti en tournée cet automne avec Alexis HK et Renan Luce pour Seuls à trois, assure lui qu'il est difficile de saisir la portée des textes de Georges Brassens. "Sa poésie n'est pas si populaire", ose-t-il. "Ses textes sont très riches, truffés de références bibliques et pointues".

Evident comme "une grille pleine de Sudoku"

Mais, comme "L", après une remarque critique sur l'oeuvre du maître, le trentenaire verse dans la louange. "Ses rimes sont incroyables. La perfection de ses chansons en général m'a marqué. C'est un peu comme si j'avais une grille pleine de Sudoku devant moi, c'est évident", image le chanteur, parrainé à ses débuts par Renaud, autre adorateur de Brassens.

En piochant dans les succès de Georges Brassens, on y trouve confirmation des propos de Benoît Dorémus. Quand ce n'était pas ses textes qu'il chantait, Brassens mettait en musique ceux de ses poètes préférés. Ainsi ont été popularisés Paul Fort (Le petit cheval), Victor Hugo (Gastibelza), Louis Aragon (Il n'y a pas d'amour heureux) ou François Villon (Ballade des dames du temps jadis). "Brassens est un poète. Il a montré que la frontière entre poètes et chanteurs était très fine", juge Alexis HK, autre chanteur trentenaire qui tient Brassens pour "référence".

"La génération d'avant"

Avec ses "croquants", "croquemort" et autres mots empruntés à l'argot, Georges Brassens a un vocabulaire daté, estime Alex Beaupain, auteur des chansons du film de Christophe Honoré Les Bien-aimés. "Pour moi, Brassens c'est presque la génération encore d'avant. Ce n'est pas dépassé, mais sa manière d'utiliser la langue, son vocabulaire un peu désuet et la forme classique de ses chansons en font un chanteur marqueur de son temps".

L'expertise de Michel Brillié, spécialiste de Brassens et co-fondateur de la webradio radiobrassens.com, est dans la même veine. "Brassens a vraiment fait attention à ne pas écrire comme les autres. Il s'est donné du mal pour cela, avec des mots de son époque".

"Il a travaillé des thèmes éternels"

"On dit que les chansons sont belles quand elles sont intemporelles, je ne suis pas d'accord. Elles sont belles parce qu'elles marquent leur temps et qu'elles nous ramènent à une période passée de notre vie", développe encore Alex Beaupain.

Donc Brassens est resté bloqué aux années 1960 ? Non, répond Michel Brillié. "Il a travaillé des thèmes éternels, l'amitié, la paix, l'amour, mais à sa manière, en faisant attention de se détacher des autres", assure le "brassensologue".

Pour ces trentenaires qui n'ont que peu de souvenirs de Brassens vivant, le chanteur à la moustache représente bien le "socle de l'histoire de la musique française". Un socle qui ne s'érode pas, mais qui a pris un peu la poussière.