TF1 se lance dans la vidéo à la demande ethnique

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TF1 lancera début mars un service de vidéos en streaming et en location consacré au cinéma "afro". Ghettoïsation d’un public ou véritable volonté de diversification ?

Plateforme de cinéma "afro", chaîne "panafricaine" ou encore chaîne de porno "black". Les populations noires trouvent de plus en plus leur place sur certains médias. Dernière initiative en date : TF1 lancera début mars un service de vidéos à la demande consacré au cinéma "afro", en partenariat avec la plateforme Afrostream. Une façon de proposer sur Internet, ce que la chaîne ne peut pas offrir sur son antenne. Car ce genre de stratégies de diversification se font toujours “à la marge” des offres classiques des médias généralistes.

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Les œuvres “afros” en question. Alors que la télévision "ethnique" connait déjà un certain succès en France, TF1 innove avec une offre de vidéo à la demande exclusivement dédiée aux séries et films africains, afro-américains et afro-caribéens.”Il s’agira de films qui racontent l’histoire d’afro-descendants dans des rôle de personnages principaux. Ces histoires peuvent toucher tout le monde. L’Afrique a de belles histoires à raconter au monde. Les afro-descendants ont de belles histoires à raconter au monde”, s’enthousiasme Tonjé Bakang, fondateur d'Afrostream, qui a scellé un partenariat avec TF1. “On est dans un cinéma qui présente des caractéristiques de culture”, renchérit Pierre Olivier, directeur marketing de TF1vidéo et MyTF1VOD.

TF1 promet donc un catalogue plutôt hétéroclite, allant de 12 Years a Slave, Ray, à Bande de filles, film français sorti en 2014, en passant par Timbuktu, révélation des derniers César. “Il y a aussi beaucoup de films africains, avec les films nigérians de Nollywood, et tout le cinéma du Cameroun, du Bénin, du Sénégal”, précise encore Tonjé Bakang.

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Pour l’heure, seulement quelques films sont d’ores et déjà disponibles sur le site de TF1. Le 5 mars, à l’occasion du lancement officiel de la plateforme, le catalogue proposera une centaine d’œuvres, puis sera ensuite étoffée au fil des mois. Ces films, disponibles en VF et en VO, seront disponible à la location ou à l’achat, pour une somme allant de 2,99 euros à 6,99 euros.

Des précédents ? Sur cette idée du “à chaque communauté sa télévision”, d’autres chaînes privées proposent ce type de service. Avant TF1, M6 avait créé en 2005 "M6 Music Black", spécialisée dans le rap et R'n'B, fermée depuis janvier. "Télésud", chaîne "afro-européenne et panafricaine" basée à Paris, a elle été créée en 1998. Plus insolite, le groupe américain Penthouse, l'un des leaders mondiaux du X, a lancé en septembre une chaîne porno "black" en France, son premier marché pour les télés payantes.

Mais c’est surtout Canal Plus qui joue depuis longtemps la carte de la télévision "ethnique", avec des bouquets de chaines africaines, arabes, russes ou espagnoles. La communauté chinoise dispose, elle aussi, d'une offre distribuée par le groupe Tang Frères, le numéro un des supermarchés asiatiques en France, rappelle BFMTV.com.

Une ghettoïsation des publics ? Il faut dire qu’avec ses 4 millions de téléspectateurs potentiels d’origine africaine, le marché est assez prometteur. C'est d'ailleurs parce qu'il était lassé de la faible représentation des Noirs dans les œuvres traditionnelles que l'entrepreneur Tonjé Bakang a eu l'idée de créer la plateforme Afrostream, dont le lancement officiel est prévu d'ici cet été. "Il y a, d’un côté, énormément de films, d’histoires, de séries qui sont réalisées par des gens talentueux, mais qui souffrent d’un manque de mise en avant. Et de l’autre côté, il y a des “serievores” qui aimeraient avoir accès à ces contenus. Je trouve dommage que ces films n’aient pas de visibilité et aucune offre légale”, explique le fondateur d'Afrostream.

Face à la multitude des œuvres proposées sur Internet, souvent de manière illégale, Afrostream entend donc proposer une offre éditorialisée. “Le numérique permet d’afficher en temps réel des milliers d’œuvres. Dans un sens, l’offre de TF1 est une bibliothèque qui organise cette diversité. Et une chaîne classique n’a pas cette possibilité”, insiste le directeur marketing de TF1vidéo, comme pour justifier le lancement de cette plateforme, accusée par le CSA de ghettoïser les publics afros.

Pour la sociologue des médias Marie-France Malonga, spécialiste de la représentation des minorités, une telle offre vise en effet “un public noir". Elle estime également qu’il s’agit d’un "marketing de la diversité" déplacé. En réponse, TF1 assure que leur nouvelle plateforme de vidéo à la demande ne s’adressent pas seulement aux populations d’origines africaines. La Une assure en effet vouloir s'adresser davantage aux cinéphiles curieux qu'aux populations "afro". "Le cinéma, c’est de l’art. Et l’art s’adresse à tout le monde. Le contenu ne définit pas le spectateur. Quand on touche des valeurs universelles, on peut toucher tout le monde, un large public", espère Tonjé Bakang, qui trouve le terme de "ghetto" blessant. Et, selon les informations d'Europe 1, TF1 envisage d'ailleurs de décliner ce type d'offres ciblées autour d’œuvres asiatiques ou russes par exemple.

La sous-représentation des noires à la télévision toujours présente. Mais pour véritablement toucher un large public, la seconde étape serait de proposer davantage d’œuvres afros sur les chaînes généralistes. Car le lancement de cette plateforme de vidéo à la demande consacrée aux œuvres afros, ne signifie pas une diversification de l’offre télévisuelle actuelle de TF1. Pourtant, dans les médias traditionnels, "lieu de reconnaissance", les populations noires restent sous-représentées, souligne Marie-France Malonga. Dans son dernier baromètre de la diversité, le CSA estime à 14% le nombre de personnes "non-blanches" présentes à l'écran.

Si elle salue l'initiative de TF1 - "ça ne peut pas être une mauvaise chose" -, Mémona Hintermann, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), où elle préside le groupe de travail "Diversité", reste donc critique. Pour le CSA, le risque de ces chaines VOD est par ailleurs une façon de pallier de manière hypocrite le problème de la sous-représentation de la diversité sur les grandes chaînes françaises, sans vraiment le résoudre.