INTERVIEW E1 - Riss "s'est posé la question d'arrêter" Charlie Hebdo

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Le dessinateur Riss, blessé dans l'attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier, revient sur son état de santé et sur l'avenir. 

Le dessinateur Riss, 48 ans, blessé à l'épaule dans l'attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier dernier, "va un peu mieux". Il a pu sortir de l'hôpital et "se remet peu à peu", a-t-il confié à Europe 1. Quant au moral, "c'est un peu plus variable", avoue-t-il, évoquant le gros chantier qui reste. "Mais en même temps, quand on regarde le passé, c'est assez déprimant", explique le dessinateur, effondré après la tuerie qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo. C'est lui qui devrait devenir directeur de la publication du journal satirique, succédant à Charb, tué dans l'attentat.

"Des dessinateurs extraordinaires que je ne reverrai jamais". Riss arrive-t-il à réaliser ce qui s'est passé ? "Oui", répond le dessinateur, avant d'évoquer son deuil. "Ce que j'ai beaucoup plus de mal à réaliser, c'est le fait qu'il y ait des dessinateurs extraordinaires avec lesquels j'ai travaillé pendant des années, que je ne reverrai jamais. C'est ça qui est le plus difficile à accepter",  confie-t-il au micro d'Europe 1.

Riss l'a raconté. Le jour de l'attaque, il a eu le réflexe de se coucher au sol. C'est ce qui lui a sauvé la vie. Pourquoi les tueurs l'ont-ils épargné ? "Ils n'ont pas réfléchi à ça", assure-t-il. Pour lui, les frères Kouachi "sont venus faire un carton, ils ont obtenu ce qu'ils voulaient, ils sont repartis. Ils auraient pu, effectivement, tuer vraiment tout le monde… Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient." Ce que les frères Kouachi voulaient, d'abord, c'était abattre Charb, c'est en tout cas ce que pense Riss.

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"J'avais l'impression qu'on ne voulait vraiment plus de nous". Le dessinateur a la force de continuer "d'abord parce qu'il aime son métier", explique-t-il à Europe 1. "Je n'ai pas envie de renoncer à mon métier à cause de ces individus". C'est vrai que le jour des attentats, l'idée de tout arrêter lui a traversé l'esprit. "Parce que le sentiment que vous avez quand vous subissez une telle violence, c'est de vous dire : 'mais finalement, est-ce que les gens nous aiment ?' J'avais l'impression qu'on ne voulait vraiment plus de nous, à tel point qu'on a voulu nous supprimer." Les manifestations qui ont eu lieu les jours suivants ont "un peu remonté le moral" à toute l'équipe. "On ne se rendait pas compte à quel point on était important pour beaucoup de gens, au moins symboliquement". 

"Qui défend concrètement la laïcité ?" Les journalistes et dessinateurs de Charlie sont-ils allés trop loin, comme l'avancent certains ? "On n'a jamais eu le sentiment de faire des choses très excessives", répond Riss. "Et même quand il nous est arrivé de dessiner un personnage supposé être Mahomet, ça n'a jamais été des dessins très agressifs. Ce sont des dessins un peu loufoques. Donc le sentiment que j'ai, c'est plutôt un sentiment de solitude…", avoue le dessinateur. "Pourquoi n'y a-t-il que nous pour oser défendre la laïcité ?" Riss fait un constat : "En fait, il n'y a pas grand monde qui défend la laïcité. Tout le monde est pour, mais qui défend concrètement la laïcité ?", interroge-t-il.

"On n'est pas des monomaniaques de l'islam". Le dessinateur, qui défend la ligne du journal, précise que Charlie Hebdo "a toujours été un journal "responsable." "Pour nous, être responsable, c'est défendre nos idées", dit-il. Y avait-il de leur part une volonté de provoquer, de pousser le bouchon ?  "On n'est pas des monomaniaques de l'islam. On s'est toujours dit qu'on avait le droit, de temps en temps, de faire un dessin dessus. Notre critère, c'est l'actualité", confie le dessinateur, agacé lorsqu'on réduit Charlie Hebdo à ces caricatures.

Le prochain numéro sortira "dans quelques semaines", précise Riss. Quand exactement ? "Ça il faut voir avec l'équipe, qui est dans un état de fatigue physique, nerveuse, psychique, très importante", dit-il, avant de parler logistique : "Même si l'envie est toujours là de faire Charlie Hebdo, il faut qu'on décide ensemble des modalités de la reparution du prochain numéro."

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Le "numéro des survivants", celui qui a suivi les attentats, a entraîné des manifestations de protestation, notamment au Niger, qui ont fait dix morts le week-end dernier. "La première fois qu'on a publié une caricature de Mahomet, c'était pour l'élection de Miss Univers au Nigéria. Le simple fait d'organiser cette élection au Nigéria a fait quelque chose comme 200 morts, quelque chose d'épouvantable", se souvient Riss. Pour lui, de toute évidence, "le problème, ce n'est pas uniquement une histoire de caricatures de Mahomet. Il y a des problèmes d'intolérance. Charlie Hebdo et trois-quatre caricatures, ce n'est pas ça le problème en fait."

"L'apologie du meurtre, c'est la ligne rouge." Riss le martèle : il mise sur "l'intelligence" du public. "Je pense toujours que dans le monde musulman, il y a plus de gens qui sont capables de comprendre, même si ça leur déplaît un peu, le droit qu'on a de faire ça, que de minorités agissantes, même très violentes qui voudraient terroriser les gens, dès qu'il y a quelque chose qui ne leur plaît pas." Pour le dessinateur, on a "le droit de ne pas aimer Charlie Hebdo, de le critiquer". La seule chose qui "le gêne", dit-il, c'est "quand il entend que ce qu'ont fait les terroristes, c'est bien… L'apologie du meurtre, c'est la ligne rouge."