Le Prix Albert-Londres, c'est quoi et comment ça marche ?

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Anaïs Huet , modifié à
Le Prix Albert-Londres a été remis lundi, à Istanbul en Turquie, au meilleur reportage francophone de l'année 2018. Mais comment fonctionne ce prix, qui date de 1933 ?
LE TOUR DE LA QUESTION

C'est un événement annuel pour la profession des journalistes. Le 80ème Prix Albert-Londres a été remis lundi à Elise Vincent, du journal Le Monde, pour une série de reportages sur le djihadisme et la radicalisation en France.

Cette année, la cérémonie se tenait à Istanbul, en Turquie. La symbole est fort, tant la liberté de la presse est mise à mal dans ce pays, a fortiori depuis le putsch manqué contre le président Erdogan, à l'été 2016. Chez Wendy Bouchard lundi matin sur Europe 1, plusieurs reporters français sont venus nous expliquer l'intérêt de ce prix, encore peu connu du grand public.

Que récompense le Prix Albert-Londres ?

Le prix Albert-Londres, décerné pour la première fois en 1933 à l'initiative de la fille du célèbre journaliste, disparu un an plus tôt, consacre chaque année, à la date anniversaire de la mort d'Albert Londres, le meilleur "Grand Reporter de la presse écrite", et depuis 1985 le meilleur "Grand Reporter de l'audiovisuel". Il est destiné à des jeunes journalistes, âgés de moins de quarante ans. 

Qui le remet ?

Un jury composé d'une vingtaine de journalistes de différents médias, d'écrivains, de cinéastes et de professionnels de l'édition. Les lauréats des années précédentes sont aussi amenés à participer au scrutin. Mais cette année, le lauréat 2017 pour la presse écrite, Samuel Forey, n'a pas été autorisé par les autorités turques à entrer dans le pays. Il fait l'objet d'une interdiction de séjour en Turquie pour y être entré clandestinement, depuis la Syrie.

Le jury est présidé par Annick Cojean, grand reporter au Monde, et elle-même lauréate du Prix Albert-Londres en 1996 pour sa série de cinq reportages, Les Mémoires de la Shoah, réalisés aux États-Unis et en Europe.

 

>> De 9h à 11h, c'est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

Quel est l'intérêt d'une telle récompense ?

Pour Annick Cojean, invitée de Wendy Bouchard lundi matin, la remise du Prix Albert-Londres ne sert pas uniquement à se répandre dans une auto-congratulation entre confrères. Le prix sert à "insister sur des valeurs, des règles, et des devoirs. Et notamment la modestie. Ce n'est pas parce qu'on a des prix que l'on doit rouler des mécaniques. Ce n'est pas une consécration de carrière", prévient la journaliste. "On met une sacrée pression sur les épaules des lauréats. On leur dit : 'Vous avez cette étiquette Albert Londres, il va maintenant falloir être à la hauteur. On vous attend sur les prochains reportages.'"

"Si on veut mettre certains d'entre nous à l'honneur, c'est uniquement pour rappeler l'importance de cette profession", insiste la présidente du jury Albert-Londres. "Elle est vitale dans une démocratie. Quand on n'a pas de journalistes sur le terrain, il y a tout un pan de faits importants pour la vie quotidienne et pour la marche du monde qui ne sont pas rapportés."

Quelles qualités faut-il à un reportage pour être auréolé ?

"Indépendance, éthique, sérieux, démarche, audace, vérification et contre-vérification des faits, c'est plus important que jamais dans cette période où la communication essaie de prendre le pas sur l'information", liste Annick Cojean.

Et pour respecter l'héritage d'Albert Londres, le jury attend aussi des candidats une écriture plus que soignée, et un style percutant. "Il faut attraper le lecteur par le col de la veste ou du chemisier, de la première phrase à la fin de l'article", souligne Patrick Eveno, historien des médias, au micro d'Europe 1. "Un rédacteur en chef avait viré Albert Londres parce qu'il lui reprochait d'avoir introduit dans ses articles 'le virus de la littérature'", rappelle Annick Cojean. Elle poursuit : "Albert Londres, c'est aussi un ton, une écriture, un style, un engagement, beaucoup de chaleur, un élan vers les autres, et certainement de la tendresse."

Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, le Prix Albert-Londres ne couronne pas uniquement des reportages de guerre, ou réalisés au bout du monde. Annick Cojean rappelle : "Luc Bronner l'avait obtenu pour un papier formidable sur la banlieue (en 2007, ndlr). Philippe Pujol l'avait eu pour son reportage sur les quartiers nord de Marseille (en 2014, ndlr). Il avait un langage qui nous avait scotchés. On entendait ce qui résonnait, les phrases des jeunes. Ça, c'était Albert Londres. C'était de l'audace, un style tout à fait ébouriffant. Il nous rapportait la vie."