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A.D , modifié à
Le traitement de l'attentat de Nice, notamment à la télévision dans la nuit de jeudi, a été très critiqué. Des spécialistes de l'information reviennent sur la déontologie journalistique et sur leurs choix lors d'événements tragiques.

Le traitement médiatique de l'attentat de Nice a été controversé, avec notamment la diffusion d'images qui ont choqué les téléspectateurs : le camion fou fonçant sur la foule de la Promenade des Anglais, des corps allongés sur le sol, recouverts ou non. Lundi matin, dans Le grand direct des médias, Antoine Guélaud, directeur de la rédaction de TF1 et Didier François, grand reporter à Europe 1, expliquent comment travaillent les chaînes de télévision et les radios en de pareilles circonstances.

Décider d'une émission spéciale.Les chaînes de télévision ont été les plus critiquées après l’attentat de Nice. TF1 a pris la décision de "casser l'antenne" jeudi soir après France Télévisions, vers 00h43. Antoine Guélaud, directeur de la rédaction de TF1, aux commandes des JT durant le week-end de l'attentat à Nice, explique son choix : "Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Nous avons été alertés en fin de soirée par notre correspondant à Nice. Nous avons vérifié et recoupé les informations, passé des appels, fait converger un certain nombre d'équipes sur place lorsque l'on a eu davantage de précisions sur ce qui s'est passé [douze équipes de TF1, deux de LCI et un coordinateur étaient sur place, ndlr]. Notre responsabilité est d'aller à l'antenne quand on a vérifié un certain nombre d'informations", explique-t-il sur Europe 1.

Se servir des alertes mais vérifier. "Le risque, c'est de dire des bêtises", confirme Didier François, grand reporter à Europe 1. "Cela va très vite sur ce genre de choses, et pas seulement les journalistes. La vitesse ne doit pas empêcher la vérification. Chaque information passée à l’antenne est une information validée. On ne reprend pas les rumeurs, les tweets, etc. Ce sont des alertes, mais on vérifie. On envoie immédiatement des équipes de reporters sur place. Le reporter est l’œil de la rédaction", précise-t-il.

Prendre du recul par rapport aux témoignages. Concernant les prises d'otages - fausses, mais relayées à l'antenne de LCI et TF1 - Antoine Guélaud s'explique : "On a eu un témoin qui pendant son direct au téléphone, nous a parlé d'un ami policier qui lui avait précisé qu'il y avait des tirs dans différents endroits de la ville. Les présentateurs ont pris du recul par rapport à ces informations en disant que nous n'avions pas cette information. Juste après, nous avons eu le témoignage d'un syndicaliste policier qui a dit ne pas avoir de confirmation au sujet de la prise d'otages. Quelques minutes plus tard, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a confirmé qu'il n'y avait pas de prise d'otages", détaille-t-il. L'information s'est donc construite en direct.

Choisir de diffuser ou pas des images. Les images diffusées ont été tournées par les équipes de télé sur place. "Il y a aussi un certain nombre de vidéos soit qui circulent sur le net soit que l'on parvient à récupérer. On ne décide pas comme ça, parce qu'il y a une vidéo qui arrive, de la balancer à l'antenne, sans précautions, sans l'avoir visionnée à plusieurs reprises pour s'assurer d'abord qu'il s'agit bien de la Promenade des Anglais. Il y a ensuite une responsabilité éditoriale de diffuser ou pas. Il y va de la dignité humaine et du respect de la douleur. C'est pour ça qu'il faut parfois savoir arrêter le temps. En même temps, on doit montrer une certaine forme de réalité", reconnait Antoine Guélaud. D'où la diffusion, partielle, d'images du camion lancé à pleine vitesse et fauchant la foule.

Contextualiser. "Le drame, ce serait de diffuser les images sans expliquer ce qui se passe", relève Didier François. "Dès lors qu'on montre les images avec un contexte en donnant au téléspectateur des éléments de compréhension sur ce qui se passe, ce qu'il voit et pourquoi ça se passe, les gens sont intelligents et capables de faire le tri." "L'image ne doit pas être diffusée gratuitement, sans explication", appuie Antoine Guélaud.

Choisir des images à distance. François Jost, sociologue spécialiste des médias ajoute un élément au contexte : la distance. "Voir le camion de loin qui avance, est une information. Les images de très près, atroces, ne seraient pas diffusables. Sur France 2, on a eu des images qui contrevenaient à la déontologie, 'sans doute filmées par un touriste' indiquait le commentaire." L'origine des images n'était donc pas connue. "Diffuser des images dont on ne connaît pas la source, c'est une faute", souligne Didier François. Ce qui a peut-être le plus choqué sont les images d'une interview d'un homme près d'un corps, qui semblait être celui de sa femme. "Le journaliste doit d'abord être humain, poursuit François Jost. Cette personne là était hagarde. Elle ne réalise même pas et se retrouve à parler de quelque chose d'atroce. Il y a un choc pour les téléspectateurs entre la froideur des questions et la situation dramatique vécue."