Attentats : pourquoi la vidéo du Daily Mail n'a pas été achetée par un média français

Images de vidéosurveillance de la pizzeria Cosa Nostra, 1280x640
Selon les informations du Petit Journal, le Daily Mail aurait payé 50.000 euros pour récupérer les images. © Capture d'écran Daily Mail
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QUESTION D'ETHIQUE - Selon le Petit Journal, le tabloïd anglais Daily Mail a acheté les images de vidéosurveillance de la pizzeria Casa Nostra, frappée le soir du 13 novembre par les terroristes. 

Ce sont les images les plus nettes des attentats du 13 novembre dernier. Selon des informations du Petit Journal (revisionner la séquence ici), le Daily Mail aurait versé 50.000 euros au propriétaire de la pizzeria Casa Nostra, visée par les tirs d’un terroriste. Le journaliste européen Alex Taylor, un des Experts d’Europe 1, nous explique pourquoi ces images sont sorties en Angleterre et pas en France.

Pourquoi la presse anglo-saxonne n’hésite-t-elle pas à payer et à diffuser ce genre d’images ?

Déjà, il y a une croyance bien ancrée dans les pays anglo-saxons selon laquelle tout travail mérite salaire. C’est très frappant de voir que lorsqu’on invite quelqu’un dans un média britannique, la question de sa rémunération est très rapidement abordée. En France, ce n’est absolument pas le cas. Les intervenants viennent gratuitement.

" Je ne suis pas certain que les médias anglais auraient diffusé les images si la scène s’était déroulée en Angleterre "

Ensuite, il faut bien comprendre qu’il existe beaucoup plus de journaux en Angleterre qu’en France. The Sun est tiré à 3,2 millions d’exemplaires tous les jours. A lui seul, The Sun vend plus de journaux que toute la presse française réunie ! Le marché de la presse est donc très fortement concurrentiel. Les gens n’achètent pas systématiquement le même journal. Ils achètent très souvent en fonction de la Une, de ce qui accroche le regard. A ce titre, les tabloïds (The Sun, Daily Star, Daily Mail, Daily Express) n’hésitent pas à publier des images parfois choquantes pour les Français. 

Il n’y a donc aucune limite dans la presse anglo-saxonne...

Lors de l’affaire News of the World, il y a quatre ans, un journaliste avait été accusé d’avoir piraté puis effacé les messages téléphoniques d’une adolescente qui avait été assassinée. Ce scandale a obligé le milliardaire Rupert Murdoch a cessé la parution de son hebdomadaire dominical qui était pourtant diffusé à 2,8 millions d’exemplaires. Il y a donc quand même des limites dans la presse anglo-saxonne. Mais pour les trouver, il faut pousser loin. Après, je ne suis pas certain que les médias anglais auraient diffusé les images si la scène s’était déroulée en Angleterre. Quand ça touche son propre pays, on est toujours un peu plus respectueux.

Pourrait-on voir ce genre d’images dans la presse française ?

Oise Hebdo

En France, il n’existe pas de presse tabloïd. A sa Une, le journal The Times a choisi de mettre en avant mardi un scandale sexuel qui touche les jeunes conservateurs britanniques. Ce genre d’affaires ne sortirait probablement pas en France. Les différences culturelles entre les deux pays peuvent aussi expliquer la pudeur de la presse française.

La presse est aussi beaucoup plus sérieuse en France. A part Oise Hebdo qui va oser des Unes un peu "olé olé" (comme ci-contre), il n’y a pas de quotidien comme The Sun qui sort des scandales sexuels tous les matins. Et en même temps, les Français ne comprennent pas que les tabloïds peuvent aussi bien miser sur le sensationnalisme que sur l’investigation. Ce n’est pas que du "trash".

Le directeur général de BFMTV, Guillaume Dubois, a assuré vendredi dernier sur le plateau d’Arrêt sur images que la chaîne d’information en continu "n’achetait pas de vidéos amateurs". Il a même expliqué que les images de vidéosurveillance de la pizzeria Cosa Nostra avaient été proposées à sa rédaction. Selon vous, la presse française se fixe-t-elle une ligne jaune à ne pas franchir ?

Pour des raisons d’éthique, les médias français ont toujours rechigné à payer ce genre de documents. Il existe aussi des raisons financières qui peuvent constituer un frein. Si quelques grands groupes de presse français pourraient se l’autoriser, tous les titres ne peuvent pas non plus payer 50.000 euros du jour au lendemain. Le Daily Mail, qui est tiré tous les jours à près de deux millions d’exemplaires, ne se pose pas trois fois la question.