Jean-Michel Bouvier : "Même si la vérité sort, je ne serai jamais apaisé"

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En quête de la vérité, Jean-Michel Bouvier se trouve en Argentine pour le procès des trois meurtriers présumés et la reconstitution du meurtre de sa fille, Cassandre Bouvier, assassinée en juillet 2011 dans le nord de l’Argentine

« Bonjour Jean-Michel Bouvier. Vous êtes sur place à Salta, dans le nord de l'Argentine, puisque c'est là-bas que la justice organise une reconstitution des meurtres de votre fille mais aussi de sa camarade Houria Moumni, qui a malheureusement connu le même sort. C'est un moment insoutenable pour un père. Pourquoi avoir tenu à être là, à l'endroit où votre fille a vécu son supplice et où on va demander aux accusés de reproduire leurs gestes ?

"Depuis le début, je suis dans la quête de la vérité pour Cassandre, quelle que soit la douleur. Parce que Cassandre était quelqu'un d'entier, de généreux, qui ne supportait pas l'iniquité, l'exclusion, la relégation. Et donc, je veux savoir - même si je sais qu'il est parfois illusoire de vouloir connaître la vérité - et qu'en tous les cas, soient condamnés les assassins de ma fille et de Houria."

Vous dites vouloir connaître le nom des assassins, cela veut-il dire que les trois hommes jugés depuis fin mars ne sont pas nécessairement les auteurs du meurtre de votre fille ?

"Il y en a un pour lequel les preuves sont très nombreuses et deux autres sur lesquels elles sont soit totalement absentes, soit très contestables."

Vous diriez qu'aujourd'hui les responsables de la mort de votre fille sont encore en liberté ?

"Je n'écarte pas l'hypothèse. On ne peut pas croire que le seul fils Lasi, avec deux armes, ait tué deux jeunes femmes qui étaient dégourdies, sportives, et qui avaient en plus des capacités de résistance."

Jean-Michel Bouvier, dès que vous êtes arrivé en Argentine, on vous a flanqué deux gardes du corps. Pourquoi ? Qui dérangez-vous ?

"Non, je ne pense pas qu'on m'ait flanqué deux gardes du corps. C'est vrai que j'ai le sentiment que la province de Salta tient à ma sécurité. Et donc, des fois, surjoue."

Mais qui menacerait votre sécurité ? Ça dérange à ce point-là que vous cherchiez la vérité sur la mort de notre fille ?

"Peut-être. Parce que je veux connaitre la vérité sur ma fille, mais en même temps, je suis un citoyen libre et j'ai bien vu que le problème des assassinats non-résolus était un phénomène qui dépassait le meurtre de Cassandre et Houria."

Le procès devrait durer jusqu'à la mi-mai. Vous pensez que vous connaîtrez un jour la vérité sur la mort de Cassandre et Houria ?

"Vous savez Thomas, je sais que la vérité est parfois difficile à connaître. Et ça, c'est en France, en Argentine et dans beaucoup de pays. Là, mon constat, c'est qu'un certain nombre d'erreurs ont été faites dans les premiers jours, et notamment sur la sécurisation de la scène de crime. Les corps - beaucoup de policiers le reconnaissent - ont été descendus de nuit, on a piétiné la scène de crime alors qu'il n'y avait pas urgence à descendre les corps. On pouvait les laisser une nuit supplémentaire pour faire un travail sérieux sur une scène sécurisée. Donc, à partir du moment où on ne fait pas un certain nombre de choses dès les premières heures, on risque de perdre des informations."

Vous avez l'air solide et déterminé : vous ne flanchez jamais, Jean-Michel Bouvier ?

"Mais bien sûr que je flanche. Je flanche quand je suis tout seul, et même là, à Salta, il y a des lieux où je pleure. Tous les jours, je pleure. Tous les jours. Souvent sous la douche. Evidemment, je sais - et ça, c'est irrémédiable - que Cassandre, qui était très importante pour moi, je ne la reverrai plus. Je suis humain."

Vous la redoutez, cette journée de reconstitution ?

"Vous savez, depuis que je suis revenu à Salta pour le procès, ça sera la troisième fois que je refais le parcours. Peut-être qu'il y aura, avec eux (ndlr, les accusés), indépendamment des charges qui pèsent sur eux, au travers de l'acte d'accusation, un échange de regards qui aura une dimension plus humaine que ce qu'on peut échanger dans une salle d'audience, où on est dans des positions et un jeu de rôle qui modifient les rôles. Je l'espère beaucoup, tout comme j'espère beaucoup que les photos de l'appareil d'Houria…"

… qui a été retrouvé sur la scène du crime…

"… que cet appareil photo permette au juge de visualiser les lieux où elles sont passées et qui me semble être un élément d'explication de ce qui s'est passé le 15 juillet."

Qu'est-ce qui pourrait vous apaiser aujourd'hui, Jean-Michel Bouvier ?

"Je ne sais pas. Je me pose souvent la question. Plus on avance dans la procédure... Là, je suis dans la logique du procès, et je me dis que la vérité sortira du procès. Mais je me pose la question. Même si la vérité du procès sortait, comment je m'en sortirais ? Est-ce que ça m'apaiserait totalement ? Vous allez être le premier à qui je vais donner un élément de réponse. Je ne serai jamais apaisé. Parce que la chose importante, et qui, elle, est irréversible, c'est la mort et l'absence de Cassandre."

Merci Jean-Michel Bouvier, bon courage à vous pour cette journée qui sera particulièrement éprouvante. Et merci à Olivier Ubertalli qui se tient à vos côtés dans le Nord de l'Argentine. »