"Pas de surprise, chacun espionne chacun depuis toujours"

10:21
  • Copié
SAISON 2012 - 2013, modifié à

"Il faut que les Américains payent les conséquences de l'espionnage d’États alliés" prône Arnaud Danjean.

Les principales déclarations d'Arnaud Danjean, député européen UMP, président de la sous-commission sécurité et défense :

 

Le Parlement de Strasbourg est sur écoute, comme tous les lieux de pouvoir... Aujourd'hui, les élus de toute l'Europe vont protester... Estimez-vous qu'il y a de quoi ?

"Oui bien sûr ! C'est politiquement choquant de découvrir que des alliés comme les américains vous ciblent, et vous ciblent massivement et agressivement en matière d'espionnage. C'est politiquement choquant."

Une faute des USA ?

"Oui bien sûr mais ils se sont pris les pieds dans le tapis ! Dans ce domaine-là, il faut éviter d'être pris... On peut faire beaucoup de choses en matière d'espionnage, beaucoup de choses se font, de la part de tous les pays mais là les américains sont pris à leur propre jeu, il faut qu'ils en paient les conséquences..."

 

Est-ce une atteinte, même de la part d'un ami, à la souveraineté des états ? Une forme de scandale ou on exagère en le disant ?

"Je pense qu'on exagère un peu... Politiquement on peut être choqué et il faut marquer le coup, mais feindre une telle surprise est un peu excessif. Tout cela existe depuis longtemps et on peut supposer depuis longtemps que les états entre eux, amis ou pas... Il n'y a pas d'états amis : il y a des alliés, des partenaires, pas d'amis dans ce domaine-là. Chacun écoute chacun depuis la nuit des temps, depuis très longtemps : la surprise me parait excessive."

Vous avez travaillé 10 ans dans les services secrets de la DGSE. Avez-vous connu une forme d'espionnage de cette ampleur ?

"De cette ampleur non. Les nouvelles technologies le permettent aussi... Mais, enfin, l'espionnage entre alliés... Dès qu'on entre dans un service public, même au-delà des services de renseignement, au Quai d'Orsay, quand on est diplomate, il faut s'attendre à être la cible immédiate à la fois de ses partenaires et des nations plus hostiles. C'est une donnée de base."

"Dès qu'on exerce une responsabilité au plan international, vous attirez forcément l'attention d'ennemis, de partenaires, qui cherchent à savoir d'un peu plus près qui vous êtes, ce que vous faites, et pourquoi vous travaillez..."

 

Jusqu'en 2002 à la DGSE, soupçonniez-vous les Etats-Unis d'écouter européens et français ?

"Non seulement on le soupçonnait mais on tenait cela pour une donnée acquise, mais pas seulement des américains... Je n'allais pas dire qu'on se méfiait de tout le monde, mais c'est un peu la règle dans ce milieu-là. Il n'y a pas d'amis. Il y a des alliances, qui vont jusqu'à un certain point, mais on voit que des intérêts économiques, commerciaux, stratégiques peuvent diverger. Même les meilleurs amis du monde, les israéliens et les américains, vous avez des cas d'espionnage, des américains, des israéliens, emprisonnés car soupçonnés d'espionnage au profit de l'autre..."

Vous, à la DGSE, à l'époque, vous écoutiez les voisins ?

"La DGSE est dotée, comme tous les services de renseignement occidentaux, d'un certain nombre de services techniques extrêmement performants qui permettent de réaliser ce que l'on appelle des interceptions... Il y a des interceptions tout à fait légales, qui se font dans le cadre français des juridictions françaises et qui sont surveillées par la loi, et il y a tout l'espace planétaire qui est une vaste zone de non-droit... C'est un peu comme la haute mer ! Les eaux territoriales sont surveillées, soumises à un code juridique, et la haute mer vous faites un peu ce que vous voulez... C'est pareil pour l'espionnage."

 

On écoute les ambassades étrangères à Paris comme nos ambassades sont écoutées ?

 

"On peut soupçonner, on peut penser, que les ambassades sont les premiers objectifs des pays qui les accueillent..."

Depuis votre départ de la DGSE il y a dix ans, les techniques de surveillance ont fait des progrès...

"Oui ! C'est la grande nouveauté..."

Ce qui est difficile à comprendre, c'est qu'ils aient pénétré dans chaque ordinateur...

"Vous avez toute une chaîne de défaillances ou d'accès possibles de la conception du logiciel informatique qui vous permet de démarrer votre ordinateur où il y a un quasi monopole américain, jusqu'à votre téléphone portable... Une célèbre marque nord-américaine en déclin a été bannie de toutes les administrations françaises parce qu'on soupçonnait que toutes les données soient rapatriées..."

On peut dire le nom...

"Blackberry"

Vous soupçonnez qu'on intervienne dans la conception du logiciel...

"C'est tout à fait envisageable ! Il y a tout un tas d'intrusions informatiques qui ne sont pas l'apanage des grands services d'espionnage : on a de plus en plus d'officines privées, des hackeurs, des individus qui presque par jeu, férus d'informatiques, parviennent à infiltrer les systèmes même les plus sophistiqués..."

Des administrations ne devraient pas passer des accords avec Microsoft, Apple, Google...

"Le problème, c'est la limite de l'indignation européenne : il faudrait que les européens soient beaucoup moins naïfs dès le plan industriel et se doter de technologies ! Je plaide depuis longtemps au niveau européen pour une politique industrielle qui ménage notre autonomie stratégique ! C'est à dire : dans tous les secteurs sensibles de défense et de sécurité, avoir des programmes spécifiquement européens qui nous permettent de ne pas dépendre de technologies américaines ou asiatiques qui sont autant de vulnérabilités..."

 

Si on n'achète pas Microsoft, on ne peut pas acheter Samsung, russe, chinois...

"Il serait préférable dans certains domaine sensibles de disposer de technologies strictement européennes voire nationales..."

Comment des micros ont-ils pu être placés ?

"L'Europe est une tour de verre ! Permettez-moi d'ailleurs de m'étonner de l'énergie et des ressources déployés par les américains pour espionner ce qui n'est qu'une tour de verre !  Un secret à Bruxelles, par définition, ça n'existe pas ! A 28 pays, dans un endroit complètement ouvert et transparent, une information confidentielle ou secrète tient une heure, deux heures, avant d'être échangée à 28 pays !"

 

Un secret dure combien de temps à Bruxelles ou Strasbourg ?

"Deux heures ! Quelle perte de temps et d'énergie !"

L'argument, c'est la lutte contre la terrorisme. Un prétexte pour surveiller EADS, Airbus, Areva ?

"C'est là où est le problème, là où l'on peut être choqués. Sous couvert d'intérêts de sécurité nationale tout à fait légitimes, il y a évidemment une dérive possible y compris vers les libertés individuelles, ce n'est acceptable..."

Certains proposent de geler ou annuler les négociations commerciales transatlantiques. Est-ce que c'est possible ?

"Oui, et j'y suis plutôt favorable d'ailleurs... Je pense que, au-delà de cette affaire, dès les départ, ces négociations étaient mal engagées. J'avais plaidé il y a quelques semaines avec le soutien de l'ensemble des forces politiques françaises représentées à Bruxelles pour qu'on exclue non seulement l'exception culturelle mais aussi les industries de défense et de sécurité. Justement car nous savons que nous sommes trop faibles par rapport aux américains. Une exception de sécurité et de défense, ça a toujours été le cas dans les accords de libre échange passés précédemment. Là, avec les Etats-Unis, bizarrement, cette exception n'est pas reconnue, je trouve ça dommage !"

Qui y est opposé ?

"Ironie de l'histoire, ce sont surtout nos collègues allemands, un peu trop sûrs de leur puissance industrielle, et trop sûrs sans doute de leurs liens transatlantiques, qui se sont beaucoup opposés avec beaucoup de vigueur à cet amendement pour exclure les industries de défense..."

Ils vont peut-être changer d'avis puisque des milliers de leurs communications...

"Je saurai le leur rappeler"

On peut geler, sortir... Ca créé quoi ? La preuve de l'inégalité entre les grandes puissances ?

"D'abord, ce sont plus les européens que les américains qui veulent ce traité de libre échange. Les américains ne sont pas forcément intéressés au premier chef par cet accord-là, ils sont plus intéressés par des accords de libre-échange avec le Pacifique... Donc ce n'est pas la peine de se précipiter : on s'est un peu précipités en la matière je trouve..."

Rappelons l'exemple de Charles Pasqua qui en 1995 expulse une vingtaine de diplomates espions américains...

"Oui, preuve que, entre alliés, ces affaires existent depuis longtemps, ce n'est pas nouveau ! Ca avait été précédé par un scandale aux USA où les américains avaient soupçonnés les français d'avoir développé un réseau d'espionnage économique sur leur propre sol. Ils l'avaient très mal vécu. Ce sont des affaires récurrentes, pas forcément publiques. Ce qui change, cette fois, c'est quand même l'ampleur, tout à fait nouvelle."

On ne peut pas arrêter ça d'un coup...

"Ca parait très compliqué... On est dans un espace très ouvert."

Vous dites qu'en France il faut développer une culture de sécurité et de protection...

"On a en France une conception trop folklorique de l'espionnage et du contre-espionnage : c'est une activité sérieuse, il convient de se protéger. Il faut avoir une culture de la sécurité et la conscience de ces problèmes, en entreprise et dans les administrations, un peu plus élevées..."

Le Président Obama est démasqué, il est aussi cynique que les autres...

"Il n'y a pas d'illusions à avoir : il est le président des Etats-Unis, une puissance dont la colonne vertébrale en matière sécuritaire est inchangée quel que soit le Président. Il n'a pas fermé Guantanamo, il procède à des frappes de drone beaucoup plus massivement que son prédécesseur. Barack Obama est en charge de la sécurité des USA..."

 

Snowden, vous lui donneriez l'asile politique en France ?

"En l'état actuel de nos connaissances sur M. Snowden, non. Quelqu'un qui a sans doute une grande conscience morale mais qui part en Chine puis en Russie, ça soulève quand même quelques questions..."