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SAISON 2013 - 2014, modifié à

Des forces armées locales pas prêtes face à ce genre de situation et une topologie des lieux complexe compliquent l'intervention à Nairobi.

Arnaud Danjean, ancien membre de la DGSE, député européen et Président de la sous-commission Sécurité & Défense du Parlement Européen

Ses principales déclarations :

 

Pourquoi tant d'assauts et de temps à Nairobi ?

"Le contexte est très compliqué : plusieurs étages, des gens disséminés dans un centre commercial, et des forces de sécurité kenyanes pas prêtes à ce genre d'opération."

Il faut aider les armées de différents pays africains au cas où... ?

"Il faut former des forces de sécurité très spécifiquement pour ce genre de situation. On n'est pas dans un assaut militaire classique."

Les shebabs sont bien connus de la DGSE, ils ont enlevé et exécuté des civils...

"Oui, on est à plus de 6 victimes françaises : 3 membres de la DGSE, le fameux otage Denis Allex, l'opération pour le sauver en janvier a mal tourné, deux autres membres de la DGSE ont été tués, une française aussi avait été enlevée sur les côtes kenyanes il y a deux ans, elle avait péri dans cette opération, et les deux femmes mortes dans le centre commercial. Donc oui les shebabs sont bien connus des forces de sécurité française..."

Qui les aide ?

"Il y a des influences multiples. L'anarchie qui règne depuis plus de vingt ans en Somalie est propice à tous les trafics, tous les armements. Des financements viennent du Golfe, il ne faut pas se le cacher, des financements viennent aussi d'autres pays de la région, ce sont aussi des réseaux terroristes internationaux, il y a une affiliation de plus en plus grande des shebabs à Al Qaïda..."

Les shebabs somaliens sont aidés par des sortes de brigades internationalistes du terrorisme, on dit qu'il y a des américains d'origine somalienne...

"Oui, parce que les shebabs sont très intéressés maintenant par le recrutement dans les communautés somaliennes expatriées qui sont très nombreuses dans le nord des Etats-Unis, en particulier au Minnesota où j'en avais rencontrées... Ils sont aussi en Scandinavie et en Grande-Bretagne, ce sont des bassins très intéressants pour les shebabs, des somaliens avec des passeports étrangers, ça peut être très intéressant... C'est un des foyers prioritaires de recrutement."

 

Peut-on imaginer qu'il peut y avoir des Français parmi les shebabs ?

"On ne peut pas l'exclure, même si effectivement la communauté somalienne en France est assez limitée. Mais de nombreux Français sont attirés par le front syrien, par le front sahélien, pourquoi pas le front de la corne de l'Afrique, on ne peut pas l'exclure..."

Quel est leur objectif ? Quelle finalité de ces combats et ces exécutions ?

"Double objectif. Un objectif punitif par rapport au Kenya, qui a des troupes en Somalie. Et l'autre objectif : un objectif jihadiste international plus classique si l'on peut dire, antioccidental de tuer des infidèles."

Il y a plusieurs fronts...

"Oui, un front au Sahel, on l'a vu avec l'opération au Mali, un front dans la corne de l'Afrique qui n'est pas nouveau, un front en Syrie évidemment, un front en Afghanistan... Plusieurs fronts régionaux d'une même guerre."

Le livre blanc de la Défense parle d'un arc de crise et de terrorisme. Nous y sommes ?

"Exactement. Et la grande hantise, c'est que ces différents fronts se soudent entre eux, que des liens apparaissent, bien plus forts qu'actuellement, entre ces différents groupes terroristes. Ca fait un conflit globalisé, même s'il faut se méfier de l'expression guerre contre le terrorisme qui est trop fourre-tout et qui ne correspond pas aux spécificités régionales de chacun de ces conflits..."

"On sait très bien que c'est un conflit qui ressort du jihadisme international, eux-mêmes s'en cachent de moins en moins. Mais on ne peut pas exclure, pour bien comprendre, la dimension régionale, sinon on tombe dans une simplification qui n'aide pas..."

A Bruxelles, les européens se sont réunis le 16 pour aider à la reconstruction économique et militaire de la Somalie...

"C'est près de 2 milliards qui ont été apportés la semaine dernière par les européens, les Etats-Unis, les pays de la région, pour la reconstruction de la Somalie, qui est un effort de longue durée dans lequel nous sommes très engagés. Peu de gens savent que c'est essentiellement l'Union Européenne qui finance et forme l'armée somalienne, avec des formateurs, des militaires européens sur le sol somalien. Et c'est aussi l'UE qui assure le soutien financier et logistique des armées africaines qui combattent les shebabs en Somalie. C'est pris sur le budget communautaire, donc tous les Etats font cet effort de solidarité. Mais quand on parle de formation, c'est les Etats plus en pointe, dont la France, qui assurent une bonne partie de cette tâche."

Sait-on où va l'argent ?

"C'est toujours un des gros problèmes de ce genre d'opération... Mais globalement les efforts portent quand même leurs fruits : la situation en Somalie, qui reste très chaotique, s'est beaucoup améliorée ces deux dernières années, en particulier à Mogadiscio."

Les pays qui aident risquent des représailles des shebabs et leurs complices à travers le monde ?

"Bien sûr. Dans le monde peut-être pas encore totalement, mais dans la région. 6 victimes françaises en deux ans : ça montre bien que personne n'est à l'abri, tous ceux qui participent à la reconstruction somalienne sont des cibles potentielles."

A propos de la Syrie... Faut-il maintenir la menace de sanctions contre Bachar ?

"Oui ! Il faut une résolution de l'ONU qui soit contraignante !"

Faut-il livrer des armes à l'opposition ?

"Non ! Très catégorique ! Dans un cadre contrôlé ? Je ne sais pas ce que ça veut dire. Dans le contexte syrien actuel, je ne sais pas ce qu'est un cadre contrôlé de livraison d'armes aux rebelles."

N'y a t-il plus de terroristes au Mali ou, avec leur mobilité, sont-ils allés se regrouper dans d'autres pays ?

"On sait d'abord que pour beaucoup d'entre eux, ils sont regroupés dans le sud-libyen. On sait aussi que les opérations continuent : plus de 3.000 soldats français sur le terrain pour mener des actions quotidiennes au Mali..."

 

Marine Le Pen accuse sur Europe 1 la France de favoriser le "fondamentalisme islamique terroriste"...

"C'est encore une fois une caricature absolument scandaleuse. Je trouve ça honteux pour un responsable politique de brandir de tels amalgames, de telles caricatures. Ca n'aide vraiment pas la voix de la France, ça n'aide vraiment pas à comprendre ce qui se passe dans ces pays voisins..."

 

Elle a traité la France de "catin des émirs bedonnants"...

"Je suis totalement scandalisé, compte tenu du passé qui est le mien, des brevets de patriotisme que se permet de décerner Mme Le Pen. Elle n'est certainement pas la personne la mieux placée pour le faire..."

Les Shebabs de Nairobi font parler d'eux. Même s'ils sont éliminés de Nairobi, n'ont-ils pas gagné ?

"Ils ont forcément réussi leur coup ! Le terrorisme, ce n'est pas que des opérations qui font des victimes, c'est aussi des opérations spectaculaires qui donnent de la publicité, qui permettent de recruter. La cible choisie est tout à fait significative."