Mgr Barbarin : Loi sur l'euthanasie ou euthanasie de la loi ?

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SAISON 2013 - 2014, modifié à

"Ni la République ni le corps médical n'est propriétaire de la vie humaine.", affirme le cardinal Philippe Barbarin.

Mgr Barbarin, cardinal du diocèse de Lyon

Voici ses principales déclarations :

 

Monseigneur Barbarin, merci d'être avec nous en ce jour de Noël. D'abord, j'ai envie de vous demander si Noël a encore un sens ou si cette fête est devenue la grande célébration de la consommation.

"Un sens extraordinaire. Ça veut dire que Dieu rentre dans notre famille. C'est la très grande joie de Noël, parce que la famille humaine, elle ne s'en sort pas très bien, elle a toujours des difficultés et au bout d'un moment, Dieu, qui nous a envoyé des messagers, des prophètes etc., il dit : "Et ben je viens moi-même." Alors il se fait tout petit au milieu de nous, un enfant, c'est toujours une joie considérable, et en fait, Noël devient une fête pour tous les enfants et aussi pour les adultes, qui se rappellent que nous aussi les adultes, nous sommes des enfants."

Dans quelques heures, le pape François va prononcer sa première bénédiction Urbi et Orbi de son pontificat. Qu'est-ce que vous attendez de lui, quel devrait être son message ?

"Ça je ne sais pas, il ne m'a pas fait lire avant. De toute façon, là il vient de nous envoyer son message sur la paix, son message du 1er janvier, parce que c'est une journée mondiale de prière pour la paix. Et c'est vrai que c'est le grand message de Noël. Dans la liturgie, on appelle Jésus le prince de la paix. Et puis les anges viennent, et expliquent : "Je vous annonce une très grande joie, une bonne nouvelle pour tout le peuple : aujourd'hui, vous aimez un sauveur, gloire à Dieu et paix sur la terre." Paix sur la terre à tous les hommes parce que Dieu les aime. Donc c'est sûr que la paix est un message central. Elle manque, vous n'avez qu'à songer à la Syrie. Maintenant, je ne peux pas vous dire s'il va en parler à midi."

Alors, le pape François a été nommé homme de l'année par le magazine américain Time. Après l'intermède un peu plus traditionnel de Benoît XVI, est-ce que c'est le retour d'un pape superstar, comme l'était Jean-Paul II ?

"Vous lui feriez pas plaisir en lui disant ça. De toute façon, il a beaucoup d'impact, je ne vais pas m'en attrister, au contraire, je suis très content. Je trouve qu'il est comme vous nous le présentez dans les médias. Il est naturel, direct, fraternel, hyper simple. C'est vrai que c'est pas le même format - pardon -, la même personnalité que Benoît XVI ou Jean-Paul II. D'ailleurs, je trouve ça très bien. Souvent, on nous dit : "De toute façon, vous les catholiques, vous êtes formatés avec votre doctrine et tout." Je réponds : "Bah non. Regardez : alors c'est vrai, il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seule baptême, une seule Eglise, mais quand même, Benoît XVI et François, c'est pas du tout le même genre." Et c'est bien, ça prouve la liberté, c'est-à-dire que quelqu'un qui prend cette fonction reste lui-même. Benoît XVI est resté lui-même, il nous a fait des homélies qui étaient des chefs-d’œuvre mais il n'avait pas cette force populaire que François a. Et François il est fraternel, extrêmement simple et ça touche tout le cœur. Je m'en réjouis."

Vous le connaissez extrêmement bien, vous avez des contacts réguliers avec lui ?

"Oui, assez, par exemple la semaine dernière, c'était notre anniversaire commun : c'était ses 77 ans et moi, mes 36 ans de sacerdoce, alors on s'envoie un petit message : "Bien sûr, je n'oublie pas de prier pour toi." Comme on le faisait depuis 10 ans. Donc quand il était à Buenos Aires, on s'envoyait toujours un message le 17 décembre. Des fois, il me laisse un petit message sur mon portable ou par mail."

Vous vous contactez par SMS.

"Oui, c'est ça. C'est un homme comme ça. C'est comme ça qu'on procède avec nos évêques, je ne vois pas pourquoi on le ferait pas avec lui. C'est vrai que je ne le faisais ni avec Jean-Paul II, ni avec Benoît XVI. Les personnalités se suivent et ne se ressemblent pas forcément."

Il s'est fait remarquer depuis le début de son pontificat par son fort message social. A tel point que certains, aux Etats-Unis, dénoncent un pape marxiste. Est-ce que le pape François est un pape marxiste ?

"Ça lui fera pas peur, tout le monde sait bien que non. Cela dit, si vous voulez faire attention aux autres, c'est pas du marxisme, c'est aussi du christianisme, c'est de la charité. Lui, il a dit : "Je vais aller voir les prisonniers, je vais laver les pieds le soir du jeudi saint d'une femme qui est musulmane et emprisonnée, parce qu'elle est aimée de Dieu." Ça, c'est quelque chose que tout le monde sait. Moi, par exemple lundi soir, je suis allé passer deux heures avec 150 Albanais, des demandeurs d'asile, c'était un moment merveilleux : on a joué avec les enfants, on a mangé le goûter, on a chanté, on a parlé de leur pays. Franchement, je trouve qu'ils sont très, très bien accueillis, avec beaucoup d'attention. Il y avait beaucoup de peur, vous savez. Les gens avaient peur avant, et maintenant on voit tous les gens de la ville voisine qui apportent des vêtements, de la nourriture, qui se proposent pour leur apprendre à écrire, à lire. Finalement, les peurs tombent quand les gens sont en face de nous, c'est assez joyeux."

 

Le pape François a eu des propos apaisants vis-à-vis de la communauté gay, disant notamment : "Qui suis-je pour juger ?" Vous-même avez eu des propos très durs sur le mariage pour tous. Avez-vous évolué sur cette question ?

 

"Ben vous l'avez très bien expliqué, lui aussi a des propos très durs sur le mariage pour tous et toujours très bienveillant sur les homosexuels. Exactement comme moi. L'année dernière, j'ai dit : "Non. Le mariage, c'est une homme une femme." En Argentine, il l'a dit avec la même clarté. Cela dit, les homosexuels doivent savoir qu'ils sont aimés, écoutés, et j'en ai accueilli des quantités. D'ailleurs, d'une certaine manière, ça m'a fait faire beaucoup de progrès dans la vie de mon diocèse. C'est un principe évangélique : "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé." Cela dit, quand la Bible dit que le mariage, c'est l'union d'un homme et d'une femme, elle ne se trompe probablement pas. Parce que la Bible, c'est la parole de Dieu. Un Parlement, il dit quelque chose, après il dit le contraire, ça bouge pas mal, c'est fluctuant."

Mais vous avez eu le sentiment d'évoluer, quand même, sur cette question ?

"Oui, surtout grâce aux contacts qu'on a. Ce sont les gens qui nous font évoluer. Quand ils viennent et qu'ils nous montrent les souffrances qu'ils ont vécu, les jugements dont ils ont été les victimes, etc. on se dit : "Ah, je l'avais pas entendu, je suis content que vous me le disiez." En tout cas, son principe, à lui, de dire, "qui suis-je pour juger ?" c'est vraiment l'Evangile.

Le pape François encore, il y a quelques jours, a fait un appel aux autorités du monde entier pour que les sans-logis aient un logement. Est-ce que vous répercutez cet appel aux autorités françaises ? Faut-il trouver des logements pour solutionner ce drame du sans-logement en France ?

"C'est la raison pour laquelle justement lundi soir, je suis allé passer ce temps avec ces Albanais demandeurs d'asile, mardi soir dans la nuit même de Noël au foyer de Notre-Dame des sans-abris, parce qu'ils ont pas d'abris. Il y a une phrase du pape François qui m'a beaucoup touchée dans le message auquel vous faites allusion : "On ne voit pas une famille sans maison. Famille et maison, ça va ensemble." Ce qui m'a touché chez les Albanais, c'est qu'on leur avait donné une maison à chacun. Ça, ça m'a beaucoup touché. Parce qu'ici, la famille se reconstitue. On m'a fait entrer dans pas mal de maisons, il y avait les enfants, les parents, une boisson chaude, il y avait ci, il y avait ça... Et on était chez quelqu'un. On retrouve toute sa dignité quand on a un chez-soi. C'était vraiment beau."

A trois mois de la prochaine échéance électorale, c'est-à-dire les municipales, la conférence des évêques s'est alarmée de la montée des populismes ? Est-ce que vous vous associez à cette démarche ? Est-ce que vous avez peur des populismes ?

"Quand les choses sont taillées à la hache et grossières, c'est toujours un peu dangereux. Ce que je n'aime pas, c'est quand, dans les médias ou dans la société, on divise le monde en noir et blanc et on vous fait une présentation : d'un côté, les bons, de l'autre les méchants. Pour nous, les chrétiens, on est tous assez décevants et en même temps remplis d'amour. Dans le "Je vous salue Marie", on lui demande : "Priez pour nous, pauvres pécheurs." Bah nous, c'est tout le monde, c'est pas les autres ! On voit bien qu'on a besoin de l'aide de Dieu, d'être repris par les uns et par les autres. C'est trop facile de dire qu'il y a les bons et les méchants et surtout c'est faux. Il faut pas rentrer dans ce genre de catégorie en disant : "Tous les autres sont mauvais, mais venez avec moi ça sera bien." C'est quand même de l'illusion. Un homme politique qui se met à dire ça, il y a pas grand monde qui le croit, d'ailleurs."

Vous vous alarmez de la montée des populismes, mais en même temps, vous ne citez pas le Front national, qui est un bon exemple de parti populiste. Est-ce qu'il n'y a pas un peu d'hypocrisie derrière ça ?

"Non, parce que je ne veux pas stigmatiser en disant : "ceux-là, c'est des méchants." Il y a des idées avec lesquelles je suis en désaccord complet et profond. Voilà. Mais en même temps, les personnes, elles seront toujours aimées, quelles qu'elles soient. Il n'y a pas les bons et les méchants. Je m'oppose complètement à cette idée. Par exemple : vous voulez mettre les immigrés dehors ? Et bah moi, je fais le contraire, je vais chez eux. Vous voulez me dire qu'un mariage, ça peut être un homme et une femme ou un homme et un homme, et bien je dis non. Jésus, il dit dans l'Evangile : "Que votre oui soit oui, que votre non soit non." On a le droit de dire non tout en aimant profondément les gens."

 

Qu'est-ce que vous dites aux Français qui vivent aujourd'hui la crise économique et qui ont peut-être la tentation de stigmatiser l'autre, l'étranger, l'immigré ou celui qui n'est pas comme lui ?

"Que je les comprends, parce qu'en fait ils souffrent et que quand quelqu'un souffre, il y a une détresse et une violence qui sortent de lui. Et le problème, c'est de lui faire reconnaître. Avec les habitants du village où sont arrivés les Albanais, ça m'avait beaucoup touché. Au début, quand on leur avait dit que 200-300 Albanais allaient venir, ils ont eu peur, il y a eu une espèce de révolte et 6000 signatures. Maintenant qu'ils sont là, qu'ils sont paisibles, que les enfants jouent, qu'il n’y a pas du tout de difficulté sociale... Au contraire, ils apportent des vêtements, de la nourriture, ils sont d'une gentillesse et d'une présence, ils viennent pour alphabétiser. On les comprend, ces peurs. Elles viennent de difficultés objectives. On va pas les mépriser ou les ignorer. Même, on les respecte. Et après on dit qu'il faut les dépasser. Et ça, ça me réjouit beaucoup."

Sur un autre sujet qui risque de devenir un sujet phare en France au cours de l'année 2014 : la fin de vie. Est-ce que vous pensez qu'on peut se permettre d'aller plus loin, face à la détresse des familles, la souffrance des malades, qui veulent pouvoir avoir, là aussi, le libre-arbitre, qu'on les laisse mourir en paix, de manière peut-être plus paisible que ce serait à cause de soins palliatifs trop durs ?

"Ecoutez, moi j'ai frôlé la mort : infarctus, triple pontage, etc. Je me suis demandé si c'était pas dans le quart d'heure qui suivait. On a pris admirablement soin de moi. On veille énormément sur notre dignité, on fait très attention à ce que nous souffrions le moins possible. J'ai une reconnaissance énorme pour le monde médical. Je trouve qu'on doit donner un très grand respect à chaque vie humaine et d'une manière toute particulière à ceux qui souffrent. Mais au fond, ni la République, ni l'Etat, ni le corps médical n'est propriétaire de la vie humaine. On n'a pas un droit sur la vie et la mort de quelqu'un. Ça, c'est un point qui me parait fondamental. Ce qui m'avait beaucoup plus dans la loi Leonetti, c'est qu'elle avait été à l'unanimité du Parlement français il n'y a pas longtemps, 6 ou 7 ans. L'unanimité, c'est-à-dire toute la droite et toute la gauche, qui ont voté pour cette loi parce qu'elle était pleine de clarté."

Il faut en rester là ?

"Si on veut changer une loi alors qu'elle a huit ans, non mais c'est quoi, une loi ? C'est la loi sur l'euthanasie ou l'euthanasie de la loi ? Enfin il faut quand même faire attention à ce qu'on fait : une loi, c'est très important comme fondement dans une société."