Alain Finkielkraut: "J'ai été sollicité de manière très amicale et très insistante"

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SAISON 2013 - 2014, modifié à

Jean-Pierre Elkabbach reçoit Alain Finkielkraut, nouvellement nommé membre l'Académie Française.

Ce matin à 8h20, Europe 1 recevait Alain Finkielkraut, philosophe, il vient d’être élu à l’Académie française. Ses principales déclarations : Vous n'aimez pas les honneurs... "J'ai du mal à m'imaginer comme un Monsieur ! Ce qui fait que je n'aurais jamais pris de moi-même l'initiative de me présenter à l'Académie française, on m'a sollicité de le faire de manière très amicale, très insistante. Je me suis présenté, incertain et tremblant, je suis reçu et très ému de l'être." Que peut vous apporter l'Académie ? "J'ai été reçu en tant que personne mais j'ai un nom de famille, je porte avec moi tous les miens : je suis très ému de les voir eux, dont certains sont partis en fumée, entrer sous mon nom à l'Académie Française. Voilà déjà ce que ça m'apporte." Vous dites être fier d'entrer dans cette "institution anachronique"... "C'est vrai ! Ce n'est pas la tradition qui pèse d'un poids très lourd aujourd'hui. C'est le présent ! J'aime bien l'idée que l'Académie Française est une vieille institution et qu'elle ne répond pas toujours ou nécessaire aux injonctions, engouements, conformismes du jour." Le vote d'hier : 16 votes oui, 8 contre qui font des croix... Pourquoi ? "Ils ne sont pas obligés de faire des croix ! Il est tout à fait légitime que des gens me considèrent sans affection particulière : je connais trop mes limites. Ils auraient pu s'abstenir : faire une croix, ce n'est pas simplement un refus, c'est un rejet ! Un acte d'hostilité." Les jours avant votre élection, la coupole a entendu manigances et outrances. Conjuration conduite par quelques-uns : Dominique Fernandez et surtout François Weyergans. Gardien de la bien-pensance, c'est ça ? "Je ne sais pas, je ne le connais pas très bien. Il me semble d'après ce que j'ai lu qu'il y a une grande offensive du politiquement correct pour annexer l'Académie : il semble qu'elle ait échoué, j'en suis heureux pour moi et pour elle." Michel Serres ? Pour lui, mieux vaut un philosophe que deux ? "Peut-être, je ne sais pas... Disons que Michel Serres me reproche je crois de vouloir à tout prix arracher le téléphone portable des mains de petites poussettes. Je viens de recevoir un renfort de poids : François Hollande lui-même a interdit d'usage de ces téléphones au Conseil des ministres ! J'espère qu'éducateurs et parents en prendront de la graine !" Danièle Sallenave préfère défendre les Palestiniens de Gaza, elle vous laisse les israéliens. Vos adversaires dedans et extérieurs vous reprochent un penchant trop marqué pour le Grand Israël et le sionisme... "Le Grand Israël, ça m'étonnerait : j'ai signé l'appel de Jcall pour deux états. Et je me tiens depuis 30 ans à cette position. Quant à Danièle Sallenave, nous avons été très amis : elle a découvert sur le tard la cause palestinienne. Elle me poursuit depuis lors, aussi bien au jury du Fémina qu'au Quai Conti d'un courroux antisioniste. Je dirais que ce sont des paroles nouvelles sur un air ancien." Jean d'Ormesson aurait combattu contre l'académicien qui répétait à propos de vous : "Le Front National ne doit pas rentrer sous la coupole"... "Il y a, au temps de Barrès et de Maurras, on aurait mené contre moi une campagne antisémite. Voici qu'on mène aujourd'hui une campagne antifasciste. Qu'est-ce à dire sinon que l'antifascisme est devenu incontinent et fait si j'ose dire n'importe où." On vous accuse d'être un néo-réac... "C'est intéressant ! Pourquoi suis-je un néo-réac ? Je ne considère pas que le changement est en lui-même une valeur : je m'interroge sur sa nature. Cela me vaut tous les noms d'oiseaux de la langue progressiste. Or il me semble que l'école ne change pas pour le mieux, mais s'effondre, que la langue s'étiole et que la France va mal, dans la mesure vu les territoires perdus de la République où la diversité n'est pas tout à fait la hauteur des espérances placées en elle." Pourquoi faire porter le délitement de notre société sur l'immigration ou la confrontation avec l'islam ?  "On me fait ce reproche mais ce n'est pas ce que je dis ! L'enseignement n'a eu besoin de personne sinon d'une idéologie délirante pour conduire au désastre. La perte du contact entre la langue et la littérature n'est pas imputable à l'immigration. Je pense simplement qu'aujourd'hui il y a une crise de l'intégration : en témoigne par exemple la situation d'une ville comme Villers-Cotterêts. Tout le monde s'inquiète de la voir passer au Front National : il faut savoir que la maison du maître d'école a été vendue par la mairie, elle est devenue une mosquée ; le restaurant savoyard est devenu un kebab, la boucherie est devenue halal. Ce sont des situations un tout petit peu inquiétantes..."  Manuel Valls est aujourd'hui Premier ministre : "Ce pays qui a toujours vu plus loin que lui". Cet espagnol naturalisé à 20 ans aujourd'hui Premier ministre : cela devrait vous ravir. C'est une réussite de l'intégration. "C'est une réussite de l'intégration mais c'est surtout un homme qui si j'ose dire défend la cause de l'intégration face à ceux qui à gauche l'abandonnent au profit de la notion très fumeuse et assez inquiétante de société inclusive. J'espère qu'il l'emportera." Comment, fils d'un rescapé d'Auschwitz, allez-vous prononcer l'éloge de votre prédécesseur, Félicien Marceau, auteur d'une belle œuvre mais à l'attitude ambiguë sous l'Occupation nazie en Belgique ? "Je vais en apprendre davantage sur Félicien Marceau. Je ne sais que ce que tout le monde sait et qui semble insuffisant. Si son cas est pendable, je le dirais. Je dois faire l'éloge de mon prédécesseur mais il n'y a aucune raison pour que cet éloge soit un panégyrique. Je rappelle que Félicien Marceau a adapté "La villégiature" pour Strehler, c'est un des plus grands spectacles du théâtre des années 1970." Mortel vous étiez déjà très difficile à vivre, alors immortel... "L'Académie Française nous rappelle que nous sommes des êtres transitoires ! Nous commençons par l'éloge du défunt et nous savons très bien que nous allons être remplacés. Si immortalité il y a, c'est celle que l'institution se souhaite à elle-même. Pas celle de ses membres..."