La bataille des prix littéraires

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Amélie Bertrand , modifié à
Goncourt, Femina, Renaudot, Médicis, Flore… Ils se battent chaque année pour trouver la perle rare.

Le prix Femina, décerné mardi, lance comme chaque année une tradition bien française : la saison des prix littéraires. Et cette lutte dure depuis plus d’un siècle.

Le Prix Goncourt, le premier grand prix littéraire français, est créé en 1903. Un jury, composé d’écrivains et d’hommes de lettres, doit élire "le meilleur ouvrage d'imagination en prose, paru dans l'année", selon le règlement. Le prix devient vite prestigieux, mais attire aussi les critiques.

Tous contre le Goncourt

Un an plus tard, un groupe de femmes journalistes inventent ainsi le Prix Femina, jugeant le Prix Goncourt trop misogyne, et désirant mettre en lumière aussi les écrivaines. En 1926, c’est au tour du Prix Renaudot de voir le jour. En attendant les résultats du Goncourt, dix journalistes littéraires décident d’élire leur propre vainqueur, et de proposer ainsi une alternative.

Le Prix Médicis est créé bien plus tard, en 1958, avec la volonté de découvrir de nouveaux auteurs, quand le Goncourt est parfois accusé de récompenser des écrivains bien installés. Une philosophie dont se targue aussi le Prix de Flore, lancé en 1994.

Chacun sa spécialité

Et ces différents prix mettent un point d’honneur à assoir leurs spécificités. Si le Goncourt a raté Céline, sa liste des promus reste un beau panorama de la littérature française, entre Marcel Proust, Simone de Beauvoir et Erik Orsenna. "C’est ridicule de considérer qu’on ne se trompe jamais. Mais on a été les premiers dans beaucoup de choses", assure ainsi sur Europe 1 Edmonde Charles-Roux, présidente du jury du Goncourt depuis 1983.

Le Renaudot prépare pour sa part toujours deux vainqueurs, pour être sûr de ne pas élire le même que le Goncourt, annoncé quelques minutes avant. Le jury du Femina est toujours exclusivement féminin. Quant au Flore, il peut se vanter d’avoir récompensé Michel Houellebecq en 1996, deux ans avant la tornade des Particules élémentaires.

La polémique des jurys

Mais derrière ces batailles, les prix fonctionnent tous de la même manière : une remise des récompenses à date fixe, dans un lieu parisien emblématique, une récompense symbolique (un verre de vin par jour pour le Flore), mais des grosses ventes assurées (400.000 exemplaires en moyenne pour le Goncourt). Et surtout, spécificité bien française, un jury indéboulonnable. Au Goncourt, les jurés sont cooptés, et membres d’office jusqu’à leurs 80 ans. "Les jurys sont inamovibles", s’insurge ainsi sur Europe 1 Marie-Rose Garnieri, libraire. "Ils fossilisent les débats, et c’est plus que délétère pour la littérature".

Mais pas question de changer. "Notre Prix est adoré par le public", se défend sur Europe 1 Edmonde Charles-Roux. "Pourquoi changer quelque chose qui marche ?".

Des liens étroits avec les maisons d’édition

Les prix sont également souvent accusés d’une certaine promiscuité avec les maisons d’édition. La majorité des vainqueurs du Goncourt, du Femina ou du Médicis sont ainsi édités chez Gallimard ou Grasset. "On a connu des années bizarres il y a 25 ans", reconnaît sur Europe 1 l’éditeur Jean-Marc Roberts. "Les choses étaient moins claires. Aujourd’hui, c’est contre-productif d‘appeler le jury".

Les prix des lecteurs ont le vent en poupe

Principalement visé, le Goncourt a fait quelques efforts, en modifiant son règlement. Depuis 2008, les jurés ne peuvent ainsi plus être rémunérés par une maison d’édition. Une évolution nécessaire, car la concurrence est rude. Depuis une vingtaine d’années, un nouveau genre de prix prend en effet le pouvoir dans les librairies : le prix des lecteurs, qui ont maintenant voix au chapitre. "Il y a eu un vrai renouvellement des générations, et ça a dynamisé le genre", explique sur Europe 1 Guy Konopnicki, journaliste à Marianne.

"Vive le livre !"

Selon une étude de l'institut de marketing GfK, le Prix des lectrices de Elle et le Goncourt des Lycéens se vendent ainsi autour de 120.000 exemplaires. Mais ces nouvelles récompenses font plutôt bon ménage avec les anciennes institutions.

Le Goncourt des Lycéens, qui n’a rien à voir avec le Goncourt, compte ainsi comme première supportrice Edmonde Charles-Roux. "Quand je vois cette salle remplie de lycéens, prêts à se battre pour leur auteur, je me dis ‘Vive le livre !’", s’enthousiasme-t-elle.