Minsk : séparatistes et Russes, grands gagnants de l'accord ?

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Le texte sur l'accord de cessez-le-feu dans la crise ukrainienne a été dévoilé dans le détail. Il donne quelques avantages décisifs aux Républiques séparatistes. Et, plus finement, à la Russie aussi.

On l'avait présenté comme "le sommet de la dernière chance", avant que François Hollande et Angela Merkel sortent de ces négociations marathon l'air soulagé, mais sceptiques. "L'accord ne garantit pas un succès durable" a d'abord lâché le président français, avant que la chancelière allemande enfonce le clou : "Je ne me fais aucune illusion". Et pour cause, un accord similaire avait déjà été signé à Minsk, le 5 septembre dernier, ce qui n'avait pas empêché les forces séparatistes de Donetsk et Lougansk de lancer une nouvelle offensive depuis. Et de grignoter 500 kilomètres carrés de territoire sur l'Ukraine.

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Alors que les combats tournent à l'avantage des Républiques populaires, que Kiev n'exerce aucun contrôle sur sa frontière avec la Russie, Kiev, Paris et Berlin ont été obligés de céder du terrain dans les négociations pour arracher un cessez-le-feu. L'Elysée a publié jeudi le texte intégral (en anglais) des accords de Minsk. Il dévoile, parfois ouvertement, parfois en creux, plusieurs avantages pris par la Russie et les Républiques séparatistes dans le rapport de force diplomatique.

• Pourquoi l'accord est une victoire pour les séparatistes

Militairement, avec le retrait des armes lourdes. Comme le souligne le spécialiste de la Russie Jacques Sapir sur son blog, le retrait de l'artillerie, des lance-roquettes et autres armes lourdes donne un avantage aux séparatistes, pilonnés par les bombardements constants des forces ukrainiennes.

Symboliquement, sur le choix de la langue. C'est un autre point, plus politique celui-ci, dont les séparatistes peuvent se réjouir. En annexe du texte de l'accord, est stipulé que les régions séparatistes ont "le droit à l'auto-détermination linguistique". Sous-entendu, Donetsk et Lougansk pourront choisir le Russe. Si dans les faits, les Ukrainiens sont pour la plupart bilingues, c'est un aspect symbolique de la négociation à ne pas négliger.

Concrètement, sur les pouvoirs régaliens. L'accord prévoit la création d'une milice placée directement sous l'autorité des régions séparatistes, qui pourront également  nommer les procureurs locaux. Ce qui revient à une interprétation très poussée de la "décentralisation" du pouvoir acceptée par Kiev, voire même à un rapprochement vers la "fédéralisation" de l'Ukraine, voulue par la Russie.

Economiquement, sur le soutien au développement du Dombass. L'annexe de l'accord rappelle que "l'Etat (Kiev) soutiendra le développement social et économique de certaines parties des régions de Donetsk et Lougansk." En clair, le Dombass, région minière appauvrie, qui coûte à l'Ukraine plus qu'elle ne lui rapporte, comme l'explique Le Monde, devrait continuer à bénéficier de l'aide financière de Kiev.

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• Pourquoi l'accord avantage également la Russie

Diplomatiquement, la Russie n'est plus ostracisée. Si les avancées russes glanées lors du sommet de Minsk sont moins évidentes, elles n'en demeurent pas moins importantes symboliquement et diplomatiquement pour le régime de Poutine. En langage diplomatique, les participants à l'accord de Minsk soutiennent "le dialogue trilatéral entre l'UE, l'Ukraine et la Russie afin de trouver des solutions pratiques aux préoccupations soulevées par la Russie concernant la mise en œuvre de l'Accord de libre Echange (…) entre l'Ukraine et l'UE". Comprenez que la Russie peut désormais légitimement s'exprimer sur cet accord de libre-échange, qui avait mis le feu aux poudres dans l'est de l'Ukraine et suscité la colère du Kremlin en 2013. Comme le souligne Jacques Sapir, cette phrase "met fin aux prétentions des Etats-Unis "d'isoler la Russie".

La Russie est rassurée sur l'attitude de l'OTAN. Autre point de friction pour Moscou, une possible adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, qui reviendrait pour la Russie à être quasiment cernée par des pays membres de l'organisation atlantiste (les pays baltes en sont déjà membres). A ce sujet, le texte prévoit que l'Ukraine ne rentrera ni dans l'OTAN, ni dans l'Union Européenne. "C'est incontestablement une victoire de la Russie", conclut Jacques Sapir.