Turquie : "un ras-le-bol général"

Les affrontements dans les rues d'Istanbul ont été violents.
Les affrontements dans les rues d'Istanbul ont été violents. © Reuters
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Charles Carrasco avec Guillaume Perrier, correspondant en Turquie , modifié à
ANALYSE - La société proteste contre la dérive autocratique du Premier ministre Erdogan.
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Quelle est la situation en Turquie ? 1.700 arrestations, des centaines de blessés… Après un week-end particulièrement violent en Turquie, où de nombreux cortèges ont protesté contre les dérives autoritaires du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, la pression reste maximale sur le pouvoir islamo-conservateur. Si les abords de la place Taksim à Istanbul sont restés calmes dans la nuit de dimanche à lundi, les lieux sont toujours occupés par quelques milliers de manifestants pacifiques. Les protestataires ont érigé des barricades avec du mobilier urbain et des pavés. Toutes les rues menant au bureau du Premier ministre avaient été bouclées et la police a tiré des grenades lacrymogènes pour repousser les manifestants. De violents affrontements se sont prolongés tard dans la nuit dans le centre de la capitale, à Ankara. A Izmir, dans l'ouest du pays, des manifestants ont incendié le siège du Parti pour la justice et le développement (AKP) au pouvoir. D'autres manifestations ont éclaté aux quatre coins du pays. 

>>> Assistons-nous aux prémices du "Printemps turc" sur les rives du Bosphore ? Europe 1 a posé la question à Dorothée Schmid, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

D'où est partie cette contestation ? Tout commence par une petite manifestation pour la défense d'un espace vert qui était sur le point de disparaître dans le centre d'Istanbul. Pour protester, les manifestants ont organisé un sit-in dans le parc de Gezi en bordure de la place Taksim. "Ils ont dormi dans le parc puis la police les a délogés très brutalement en incendiant les tentes. Ensuite, les policiers sont arrivés avec les canons à eau, puis les lacrymogènes. Je ne sais pas ce qu'ils mettent dans leurs lacrymogènes mais moi je n'ai jamais vu de choses aussi violentes. Cela provoque de vrais soucis de santé", a raconté Dorothée Schmid sur Europe 1.

 

Comment cela a dégénéré ? La réaction de la police a provoqué un grand ralliement et tous les gens ont conflué vers la place Taksim. "Des partis politiques se sont joints. Maintenant, on a le sentiment qu'il y a une forme de radicalisation politique qui pourrait se profiler puisque les partis d'extrême gauche étaient très présents sur la place Taksim", a assuré la chercheur qui rentre juste de Turquie. Cette contestation politique "rassemble tout la frange libérale de la société stambouliote qui proteste contre les dérives autoritaires ou en tout cas contre la personnalisation excessive du pouvoir", décrypte Dorothée Schmid. Pour preuve, les principaux slogans étaient dirigés contre le Premier ministre Erdogan, en l'appelant à la démission. 

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Qu'est ce qui est reproché au gouvernement ? Arrestations d'opposants, réforme de la Constitution, quelques mesures liberticides, etc. Bien que la popularité du Premier ministre reste extrêmement haute, certains déplorent une dérive autocratique de la part du pouvoir. "On arrive à un point de rupture dû à un ras-le-bol général. Gezi, ça a été le déclencheur d'une société qui est vraiment sous tensions", analyse Dorothée Schmid. De nombreuses causes sont à l'origine de ce mécontentement : la crise syrienne qui inquiète beaucoup les Turcs qui accueillent 400.000 réfugiés. Il y a eu un attentat à la bombe qui a fait 50 morts il y a dix jours. Aucune information n'a circulé. Et puis il y a toutes les réformes qui sont considérées comme liberticides de la part du Premier ministre. Il a récemment restreint la consommation d'alcool. Il y a beaucoup de journalistes en prison et beaucoup s'autocensurent. Erdogan est élu parfaitement démocratiquement mais il pense qu'il a tout le monde avec lui", décrypte Dorothée Schmid.

Va-t-on vers un "Printemps turc" ? Pour l'instant, rien ne permet de l'affirmer. La France écarte d'ailleurs toute idée de "Printemps turc". "Je rappelle qu'on a affaire (en Turquie) à un gouvernement qui a été démocratiquement élu", a souligné dimanche Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères sur Europe 1. "La position de la France est de demander qu'on fasse preuve de retenue et qu'on aille vers l'apaisement" et que le gouvernement "analyse les causes de la protestation", a réclamé le chef de la Diplomatie lors du Grand Rendez-vous.

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Pour l'instant, selon Dorothée Schmid, "il y a surtout un air de violences". "J'ai assisté à la répression policière sur les manifestants vendredi. Samedi ça c'est beaucoup calmé. J'ai été très impressionnée par la réaction policière. Tout ça dans un quartier qui est extrêmement touristique. Il y a eu une grande difficulté à gérer les incidents", a-t-elle constaté. Le gouvernement Erdogan va-t-il lâcher pour autant du lest dans les prochains jours ? "Il a donné des signaux que, peut être, il allait reculer sur le parc de Gezi mais qu'il a confirmé qu'il allait construire une mosquée sur la place Taksim", a conclu Dorothé Schmid.