Syrie : comment les dirigeants préparent l’opinion à une intervention

David Cameron, Barack Obama et François Hollande prévoient de frapper la Syrie prochainement. La photo a été prise lors du G8 de juin dernier en Irlande du Nord.
David Cameron, Barack Obama et François Hollande prévoient de frapper la Syrie prochainement. La photo a été prise lors du G8 de juin dernier en Irlande du Nord. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
INTERVIEW - Grâce à une communication bien huilée, Obama, Hollande et Cameron instillent l’idée d’une intervention militaire.

L’INFO. Ces derniers jours, la question syrienne a connu une accélération brutale. Après l'attaque chimique attribuée au régime de Damas, la communauté internationale, jusque-là très prudente, a décidé de passer à l’action incessamment. Dans le même temps, le discours des dirigeants internationaux a lui aussi beaucoup évolué ces derniers jours. François Hollande a évoqué l’usage "probable" d’armes chimiques le 22 août. Barack Obama s'est dit "préoccupé" le 23 août sur CNN. Puis le Royaume-Uni a menacé de se passer de l’ONU. Enfin, le président français a parlé mardi de "punition" contre le régime de Damas.  

>>> Arnaud Mercier, politologue et coauteur de l’ouvrage de "Armes de communication massive. Informations de guerre en Irak : 1991-2003", décrypte cette communication de guerre.

Europe1.fr : Comment Obama, Hollande et Cameron installent-ils leur communication ?

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Arnaud Mercier : Ils créent un climat d’opinion. En clair, ils instillent progressivement l'idée que cela va arriver. Ils veulent ‘habituer’ les gens à une intervention militaire. Comme ça, le jour de l’annonce des frappes, les gens ne tombent pas des nues : 'c’était attendu'. Cela acclimate dans l’esprit des gens qu’il faut le faire.

E1.fr : Concrètement, comment opèrent-ils ?

A.M. : Prenons l'exemple des États-Unis. Ils orchestrent ça de façon assez habile. D'abord le secrétaire à la Défense vient dire que dès que le président donnera un ordre, ils seront opérationnels. Puis le vice-président dit qu’il a les preuves. Par la suite, Obama arrivera et prendra la décision. Il y a une répartition des rôles. Derrière, il y a l’idée d’enfoncer un clou avec des éléments de langage qui sont définis dans des Conseils de Défense et repris par tous les acteurs politiques amenés à intervenir. Ils enfoncent ce discours comme un clou. C’est le principe même de la propagande : avoir quelques idées simples et les répéter inlassablement. C’est aussi le fruit du système médiatique qui doit produire de l’information la plus ‘chaude’ possible.

E1.fr : Les dirigeants internationaux font appel à la "morale" dans leurs déclarations. Est-ce un classique dans la communication politique ?

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A.M. : La justification de la guerre passe par deux types de rhétorique. La première est celle de l’intérêt national tel que l’agression contre le territoire, des sources d’approvisionnement énergétique qui sont menacées, la protection des populations, etc. La deuxième rhétorique employée, qui est consubstantielle à l’idéal démocratique, ce sont les arguments de types moraux. Il y a des choses dont se rendent coupables les dictateurs, comme par exemple assassiner des populations, prendre des civils comme bouclier humain, accueillir sur le territoire des terroristes, menacer de façon systématique les droits de l’homme. Il s'avère que parfois, les dirigeants exagèrent les menaces comme ce fut le cas en Irak en 2003.

Il est évident que pour les Occidentaux, en termes de crédibilité, ils se sentent obligés d’intervenir. Pas seulement contre la Syrie mais contre tout autre état qui pourrait utiliser de manière impunie des armes chimiques. Sinon cela veut dire que la menace est une épée de bois...

E1.fr : Le terme de "punition" utilisé par François Hollande n’est pas anodin…

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A.M. : Ce mot implique qu’il s’agit d’une sanction limitée dans le temps, limitée à une action délictueuse, moralement condamnable. Cela sous entend très clairement que ce n’est pas une opération visant à changer de régime. Que ce n’est pas une manière d’intervenir dans la guerre civile syrienne pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. C’est la condamnation d’une opération de guerre très précise et qui consiste à dire : ‘il y a des lois de la guerre et il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas. Il y a une convention de Genève et les armes chimiques, c’est banni’.