Sous-marin danois : la justice face aux versions changeantes de l'ingénieur "psychopathe"

L'inventeur doit encore être jugé pendant un mois.
L'inventeur doit encore être jugé pendant un mois. © AFP
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M.L avec AFP
Trois semaines après l'ouverture du procès de Peter Madsen, accusé d'avoir tué et mutilé la journaliste Kim Wall, les circonstances précises des faits restent floues.

 

La scène du crime est un submersible, le plus long du monde dans sa catégorie. Le meurtrier présumé, un inventeur marginal, rêvant d'abysses et d'espace. La victime, une brillante journaliste diplômée de Columbia, dont le corps mutilé a été retrouvé en baie de Køge. Mais que s'est-il passé précisément à bord du Nautilus, entre le 10 et le 11 août 2017 ? Nul ne le sait, à part Peter Madsen, jugé à Copenhague depuis le début du mois. À l'audience, le Danois a présenté une énième version des faits, peu compatible avec les constatations des experts. Il s'y tient maintenant depuis trois semaines, faisant craindre que le tribunal ne parvienne jamais à déterminer la vérité.

Des blessures ante mortem. "Non coupable", a plaidé l'ingénieur, concepteur du sous-marin artisanal, à l'ouverture de son procès. Dans la soirée du 10 août, alors que Kim Wall était montée à bord pour nourrir d'anecdotes son portrait du quadragénaire, c'est selon lui un malheureux accident qui aurait causé sa mort : une soudaine chute de pression aurait créé un phénomène d'aspiration, fait tomber le panneau de l'écoutille et piégé la reporter dans le bateau rempli d'échappements toxiques. Lui ne devrait son salut qu'à sa présence sur le pont à ce moment-là, puis à son sauvetage par les secours… prévenus par le petit-ami de la journaliste, inquiet de ne pas la voir revenir.

La version se heurte à plusieurs éléments matériels. Selon l'autopsie, Kim Wall a été ligotée, battue, puis étranglée ou égorgée, sans que la cause de la mort ne puisse être établie précisément. Quatorze blessures ante mortem ont été identifiées dans et autour de ses parties génitales. Quant à la prétendue dépressurisation soudaine de la cabine, elle aurait dû "marquer" le corps de la jeune femme, lequel n'en porte aucune trace.

Un récit très évolutif. Surtout, le récit n'est qu'une des multiples explications successives fournies par Peter Madsen depuis son arrestation, et dont les enquêteurs ont appris à se méfier. "Je sais qu'elle s'appelle Kim, c'est tout", a d'abord déclaré l'ingénieur tandis que son sous-marin coulait, affirmant avoir déposé la journaliste sur une plage le 10 août au soir. Puis, après la découverte d'un buste sans tête et de différentes parties du corps de la jeune femme, un autre scénario d'accident : Kim Wall aurait reçu une lourde pièce du sous-marin sur la tête, et se serait tuée en chutant au fond du sous-marin…

Pour le parquet danois, le véritable scénario est plus proche de l'accomplissement d'un fantasme d'actes de torture, au regard de la personnalité trouble de l'ingénieur. "Il a des traits narcissiques et psychopatiques", a déclaré le procureur à l'audience, citant les résultats de l'analyse psychologique. Dans un disque dur saisi dans l'atelier de Peter Madsen, les enquêteurs ont découvert des vidéos de femmes violées, assassinées et brûlées. Lui-même se décrivait comme un "psychopathe, mais un psychopathe affectueux", a décrit à la barre une ancienne collaboratrice.

"Éprouver des émotions". "Ce n'est pas sexuel. Je regarde ces vidéos pour pleurer et éprouver des émotions", s'est pour l'instant borné à répondre l'accusé, qui dit avoir changé de version des faits à plusieurs reprises pour "épargner" aux proches de Kim Wall les circonstances "terribles" de sa mort. Visiblement irrité, apostrophant le procureur par son prénom, l'ingénieur martèle depuis le début du procès n'avoir pas tué la journaliste intentionnellement. "J'ai percé certaines parties de son corps car je ne voulais pas qu'elles soient gonflées par les gaz [...], il n'y a rien d'érotique dans ces coups", a-t-il expliqué.

À nouveau attendu à la barre, mercredi, Peter Madsen sera invité à raconter la soirée avec plus de précision. Des dizaines de témoins, dont d'anciennes maîtresses et plusieurs médecins légistes devront ensuite tenter d'éclairer le tribunal, bien que l'état du corps  ne permette aucune constatation formelle. Le procès doit encore durer quatre semaines.