Que veulent les Tatars de Crimée ?

Les mosquées de Simferopol, l'un des signes de la présence des Tatars en Crimée.
Les mosquées de Simferopol, l'un des signes de la présence des Tatars en Crimée. © Maxppp
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MINORITÉ – Ils ne représentent que 12% de la population de Crimée. Aujourd’hui, quelle est la position des Tatars face à la crise que traverse la région ?

Maïdan, un vent d’espoir. Ils étaient environ 5 000 Tatars de Crimée sur le Maïdan. 5000 personnes venues représenter ce peuple, venues célébrer la chute de Ianoukovitch, partisan d'un rapprochement avec la Russie. Au regard de l'Histoire, rien d'étonnant à ce que le peuple Tatar se soit réjoui de la chute de l'ancien président ukrainien, tant cette communauté avait peur de retomber sous la coupe de Moscou. Il faut dire que les relations avec la Russie ont été marquées par plusieurs traumatismes : colonisation forcée et déportations ont émaillé l'Histoire de ce peuple turcophone et sunnite isolé au beau milieu d'un foyer de populations slaves.

Les peurs resurgissent. Pas étonnant non plus que depuis l’arrivée des militaires russes en Crimée, les peurs anciennes resurgissent. La Mejlis, l’organe représentatif de la communauté tatare basée dans la capitale régionale, Simferopol, organise des patrouilles pour protéger les mosquées. Sabine Dullin, spécialiste de l’URSS à l’université de Lille 3, tempère cependant : "Aujourd'hui, le combat principal des Tatars est de garder une autonomie réelle de la Crimée par rapport à l'Ukraine comme la Russie. Bien sûr, le contentieux de la seconde Guerre mondiale avec les Russes reste un fait marquant, mais il n’est pas dit qu’ils ne soutiennent pas la Russie un jour si cela leur permet de conserver leur autonomie. " 

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Purges staliniennes. Aux origines de ce "contentieux" avec la Russie, une accusation. Durant la seconde Guerre Mondiale, les Tatars sont désignés par le Kremlin comme les principaux responsables de la collaboration avec la Wermacht qui a eu lieu en Crimée. En 1944, Beria, ministre de l’Intérieur de Staline recommande "d’expulser tous les Tatars" dans une ordonnance. La déportation de masse qui s’ensuit fait des ravages au sein de la population tatare : sur les 200 000 personnes déplacées en Ouzbekistan, la moitié meurt au bout de deux ans. Sabine Dullin explique que "les Allemands avaient joué la carte de la hiérarchie raciale en Crimée pour inciter les Tatars à collaborer. Ils leur disaient que les musulmans étaient supérieurs aux slaves. Il est vrai que quelques Tatars ont effectivement aidé la Wermacht. Mais en guise de représailles, en 1944 le bureau politique soviétique a décidé de gommer les Tatares de Crimée des peuples soviétiques."

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Les Tatars malmenés par l’Empire russe. Ce rapport conflictuel avec la Russie remonte même bien avant la création de l’URSS. De Catherine II à Staline, quel que soit le régime, les Tatars de Crimée ont souffert du joug slave, qu’il soit russe, puis soviétique. Quand la Tsarine annexe la Crimée en 1783, les Tatars sont encore la population majoritaire dans la région. Cela ne va pas durer puisque les terres fertiles de Crimée attirent de nombreux paysans russes qui s’accaparent les terres. L’exode commence alors et les Tatars rejoignent l’Empire Ottoman.  "C’est une attitude classique de l’Empire russe aux confins de son territoire" assure Sabine Dullin. "La Russie a toujours été dans la colonisation de peuplement, c’est ainsi que l’empire s’est constitué".  

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Retour en Crimée 50 ans après. La diaspora devra attendre l’indépendance de l’Ukraine en 1991 pour regagner la Crimée. Mais 100.000 d’entre eux n’ont pas le droit à la nationalité ukrainienne car ils n’ont plus d’état civil. 80 000 autres qui avaient pris la nationalité du pays où ils avaient été déportés ont eu des difficultés à récupérer leur passeport d’origine. Aujourd’hui, ils clament leur allégeance à l’Ukraine, un moyen pour cette ethnie peu à peu décimée de s’assurer un minimum d’autonomie dans la région où ils se sont installés au XIIIeme siècle. Plusieurs groupes activistes de la communauté ont d’ailleurs déjà déclaré qu’ils prendraient les armes si la Russie venait à annexer la Crimée. 

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