Podemos : les raisons d'un revers

Podemos
© JORGE GUERRERO / AFP
  • Copié
G.S. , modifié à
Le mouvement anti-austérité, issu des indignés espagnols, a perdu 1,2 million d'électeurs en moins six mois.

C'est "le moment d'être humbles", a commenté lundi le secrétaire d'organisation de Podemos, Pablo Echenique. Le parti anti-austérité, issu du mouvement des "indignés" espagnols, et ses alliés communistes d'Izquierda Unida, ne sont arrivés que troisième des élections législatives espagnoles, qui se sont tenues ce week-end, derrière le Parti socialiste et le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, grand vainqueur de ce scrutin. Podemos et ses alliés ne recueillent que 21,1% des suffrages, contre 24,3% lors des élections législatives de décembre dernier, qui n'avait pas pu aboutir à la constitution d'un nouveau gouvernement. En six mois, ce sont environ 1,2 million d'électeurs qui se sont détournés du mouvement anti-austérité. Est-ce déjà la fin de la magie ?

L'étoile montante freinée en plein vol. En décembre dernier, Pablo Echenique avait parlé d'un score "historique" après sa troisième place et ses 24,3% lors des législatives. Présenté comme transcendant les clivages gauche-droite, comme vierge de toute corruption, issu d'un mouvement citoyen, Podemos était alors en phase ascendante. Fondé en 2014, le parti avait créé la surprise la même année en franchissant la barre des 10% lors des élections européennes, son tout premier test électoral. Un an plus tard, lors des municipales, Podemos parvenait même à hisser Ada Colau à la tête de la deuxième ville du pays : Barcelone. Mais ce dimanche, avec 1,2 million d'électeur de moins, le mouvement a enregistré son premier revers. Et cette nouvelle troisième place n'a pas le même goût que la précédente : une bonne partie des sondages donnait, en effet, le parti en seconde position, devant le parti socialiste espagnol.

Une image trop gauchisée... Les raisons de ce désaveu ? "Ses électeurs, comme le pensaient certains analystes politiques, ont été ceux qui se sont le plus facilement démobilisés. Il est possible, aussi, que son alliance avec Izquierda Unida (IU), parti traditionnel de la gauche de la gauche, ait fait peur aux électeurs les plus modérés", décrypte pour le site Atlantico Christophe Barret, historien et auteur de Podemos. Pour une autre Europe ?. Cette alliance, d'ailleurs, a provoqué une scission en interne, le numéro 2 du parti, Ínigo Errejón, défendant la "transversalité" du mouvement, comme le rapporte Mediapart.

"Surestimant ses forces, Podemos n'a pas tenu compte du fait que, parmi ceux qui avaient voté pour eux, beaucoup étaient d'anciens électeurs socialistes séduits par son discours transpartisan, qui ne se sont pas reconnus dans les harangues idéologiques des derniers mois, propres à une extrême gauche traditionnelle", décrypte la correspondante à Madrid du Monde, Sandrine Morel, lundi dans le quotidien du soir. Mariano Rajoy, Premier ministre sortant, dont le parti est arrivé en tête dimanche, n'a d'ailleurs pas manqué de surfer sur cette coalition entre Podemos et les communistes pour faire fuir leurs électeurs, la qualifiant régulièrement pendant la campagne d'"alliance d'extrémistes et de communistes".

 

Photo de Podemos (1280x640) PEDRO ARMESTRE / AFP

© PEDRO ARMESTRE / AFP

 

… Et un effet secondaire du "Brexit" ? Autre élément qui a pu peser dans la balance : le Brexit. Le scrutin s'est tenu seulement deux jours après le référendum britannique sur la sortie de l'Union européenne. La victoire du "out" a provoqué un vent de panique sur les marchés, et les économistes s'inquiètent des conséquences sur la croissance européenne de la sortie du Royaume-Uni. Selon certains spécialistes, les électeurs espagnols n'ont pas voulu en rajouter une couche, en votant pour un parti clairement opposé à la rigueur sauce Bruxelles… et partisan de l'indépendance de la Catalogne. "Toute la campagne du Parti Populaire (arrivé en tête dimanche) a été menée autour du thème : ‘c’est ou le chaos ou moi’. Donc c’est sûr que le Brexit a renforcé ce message", décrypte Griselda Pastor, correspondante à Bruxelles de la radio espagnole cadena SER, citée par la RTBF.

Quel avenir pour Podemos ? Voix éteinte et sourcils froncés, le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, concédait dimanche sa "déception". Pour le changement, "peut-être faudra-t-il attendre plus longtemps que ce que nous voulions", admettait-il devant des journalistes. Pour l'heure le parti refuse de se prononcer sur une alliance avec le PSOE, le parti socialiste espagnol, et les centristes de Ciudadadanos, arrivés quatrième.

Une telle alliance leur permettrait de rentrer dans un gouvernement de coalition et de reléguer le PP et Mariano Rajoy, pourtant arrivés en tête  dimanche, sur les bancs de l'opposition. Cela leur permettrait de se défaire de cette image "d'extrémistes" acquise durant la campagne. Mais cela les obligerait aussi à composer avec un PS longtemps jugé "corrompu", et un Ciudadadanos libéral et pro-austérité, déjà dragué par Mariano Rajoy. Peut-être les dirigeants de Podemos préfèrent-ils tabler sur un nouvel échec à former une coalition. Ce qui entraînera alors un troisième round de législatives… et une occasion pour le parti de se refaire sur le plan électoral.