"Panama papers" : les Etats-Unis sont-ils irréprochables ?

© RODRIGO ARANGUA / AFP
  • Copié
Margaux Baralon
FISCALITÉ - Les citoyens américains ne semblent pas concernés par le scandale et leur presse s'y intéresse peu. Le pays n'est pas pour autant épargné par la fraude fiscale.

Rien sur la une du New York Times, du Chicago Tribune ou du Wall Street Journal. Un petit entrefilet sur celle du Washington Post et un seul gros titre, pour USA Today. Lundi, la presse américaine semblait peu concernée par l'affaire des Panama papers révélée la veille par des dizaines de médias internationaux.

Au-delà de ce désintérêt manifeste, les Etats-Unis apparaissent peu touchés par le scandale. Alors que des hommes politiques, milliardaires ou sportifs de divers pays ont été mis en défaut dans les Panama papers, aucun nom américain d'envergure n'a émergé de l'investigation journalistique.

Peu de journalistes américains associés. Le manque de couverture médiatique des Panama papers outre-Atlantique s'explique d'abord par le fait que peu de journalistes américains ont été associés à l'enquête. Le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), pourtant basé aux Etats-Unis, n'a pas fait appel aux géants que sont le Washington Post ou le New York Times. Seuls les titres du groupe McClatchy (Miami Herald) et ceux de la chaîne hispanophone Univision (à laquelle appartient notamment Fusion) ont participé à cette vaste enquête qui a duré près d'un an dans le plus grand secret. Et si l'information a ensuite été peu reprise par les autres médias outre-Atlantique, c'est qu'à première vue, le scandale épargne les citoyens américains

211 noms liés à des adresses aux USA. Aucune célébrité nationale, que ce soit dans la politique, le sport ou le monde des affaires, n'a été jusqu'ici épinglée dans l'affaire des Panama papers. Certes, l'épluchage des 11,5 millions de données disponibles a permis de faire émerger 211 noms liés à une adresse aux Etats-Unis. Mais il est pour l'instant impossible de s'assurer que tous ces individus sont bel et bien américains. A l'inverse, des citoyens nationaux peuvent se cacher ailleurs dans les données. "Certains ont peut-être trouvé le moyen d'ajouter un tiers qui a une autre nationalité ou une autre identité", explique à Fusion Don Semensky, ancien agent au département des opérations financières de la Drug Enforcement Administration (police fédérale américaine).

" Les Américains peuvent créer des sociétés écrans dans le Wyoming, le Delaware ou le Nevada. Ils n'ont pas besoin d'aller au Panama. "

De sévères contrôles fiscaux. Si peu de noms américains émergent, c'est aussi parce que l'Internal Revenue Service (IRS), équivalent du fisc outre-Atlantique, est extrêmement sévère en matière de fraude fiscale. Depuis 2010, le Foreign account tax compliance act (Fatca) exige des établissements bancaires qu'ils informent l'IRS dès que des citoyens ou résidents américains détiennent des comptes à l'étranger avec des avoirs supérieurs à 50.000 dollars (43.873 euros). Si les banques sont réticentes, elles s'exposent à de fortes amendes. En 2014, le Crédit Suisse a ainsi été condamné à une amende de 2,6 milliards de dollars (2,3 milliards d'euros) et a dû livrer les noms de 238 clients. Depuis le vote de la loi Fatca, nombreux sont donc les citoyens et résidents américains à avoir régularisé leur situation.

Pas besoin d'aller à l'étranger pour frauder. Régularisé… ou simplement mieux dissimulé, parfois dans leur propre pays. "Les Américains peuvent créer des sociétés écrans dans le Wyoming, le Delaware ou le Nevada", souligne à Fusion Shima Baradaran Baugman, professeur de droit à l'Université de l'Utah. "Ils n'ont pas besoin d'aller au Panama pour le faire et l'utiliser à des fins illicites." De fait, plusieurs Etats américains sont de petits paradis fiscaux à part entière qui, sous prétexte de respecter la confidentialité des détenteurs d'avoirs, permettent de monter des sociétés très opaques. Celles-ci n'ont pas l'obligation de livrer des informations sur leur bénéficiaire légal tant qu'elles n'ont pas d'activité sur le sol national ni d'actionnaires américains.

Un système qui profite donc également pleinement aux étrangers, et ce d'autant plus que les Etats-Unis ont refusé de signer pour participer au Common Reporting Standard (CRS). Ironie du sort, ce système d'échange de données bancaires mis en place par l'OCDE depuis 2014, et qui doit permettre de lutter plus activement contre la fraude fiscale au niveau international, est directement inspiré de la loi Fatca. Actuellement, les Etats-Unis n'ont donc pas l'obligation de transmettre aux autres pays des informations sur des comptes ouverts au sein de ses établissements bancaires.

Vers une mise aux normes ? Les choses pourraient cependant changer avant la fin de l'année. Le mois dernier, le secrétaire adjoint au Trésor américain, Robert Stack, a annoncé que l'IRS allait présenter un nouveau règlement pour lutter contre ces paradis fiscaux "internes". Mais jusqu'à présent, toute tentative du Trésor pour se plier aux standards de l'OCDE s'est heurté à la vive opposition d'un Congrès majoritairement républicain et d'une industrie bancaire très puissante.