Migrants sur un cargo : les passeurs "sont inhumains"

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et Walid Berrissoul, envoyé spécial en Calabre
TÉMOIGNAGE E1 - Yassir, 20 ans, raconte les traitements qu’infligent les passeurs aux migrants clandestins entassés dans des cargos.

Un nouveau cargo a été sauvé de la dérive par la marine italienne, ce week-end. Son équipage a abandonné au large de la Calabre 360 migrants désemparés, dont 74 mineurs. Yassir, 20 ans, était à bord de l’Ezadeen, un cargo en fin de vie qui n’était autorisé qu’à transporter du bétail. Comme 2.000 autres clandestins ces deux dernières semaines, il a fini par rejoindre les côtes italiennes au terme d’un périple difficile.

Menacés par des armes. Pour le jeune homme, tout est parti d’un message qu'il a lu sur Facebook, évoquant la possibilité de rejoindre l’Europe en bateau. D’autres publications sur le réseau social vont jusqu’à donner les tarifs mais aussi les réductions valables pour une traversée de la Méditerranée. Les passeurs consentent à baisser leurs prix pour les groupes de 25 personnes minimum. Le jeune Syrien, lui, s’est acquitté de 6.000 dollars, soit près de 5.000 euros. Mais les passeurs ne s’arrêtent pas là, raconte Yassir. Une fois à bord, "ils ont pris tout notre argent en nous disant ‘Donnez-le nous ou on vous tue.’ Ces gens-là sont inhumains. On fuit la guerre et eux, ils nous volent", éructe-t-il dans l’énervement.

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Après un trajet en barque pour arriver sur l’Ezadeen, les migrants n’ont eu d’autre choix que d’obéir à l’équipage, une quinzaine d’hommes "sans visage. Ils avaient des cagoules et portaient des armes", raconte le jeune Syrien, qui a un instant "cru que c’était des terroristes". Femmes ou enfants, peu leur importe : "Ils ont pointé leurs armes sur des enfants et ils ont crié : ‘Descendez dans les cales, il y a tout ce qu’il faut, de la nourriture, de l’eau’".

Mais la réalité à bord est bien différente. "Au bout de deux jours, ils nous ont donné de l’eau de mer en nous disant : ‘Buvez-la, c’est ça votre vie maintenant'", selon le jeune homme, qui dit s’être senti impuissant. Désormais, Yassir tente de rejoindre sa famille à Milan à l’autre bout de l’Italie… sans argent.

2 millions de dollars pour l’Ezadeen. Pour les passeurs, le bénéfice est faramineux. Avec 360 migrants à bord, les contrebandiers de l’Ezadeen ont mis plus de 2 millions de dollars dans leurs poches (1,7 million d’euros). Certains passeurs gagnent beaucoup plus. Un des cargos poubelle retrouvé ces deux dernières semaines transportait 800 personnes.

Plus sidérant encore, la filière recrute aussi parmi les réfugiés eux-mêmes. C’est le cas du commandant de l’un de ces cargos poubelles, qui raconte aux policiers italiens qu’on lui a promis 15.000 dollars. Une seule condition : obéir aux consignes, comme abandonner les commandes et bloquer le moteur au large des côtes italiennes sans poser de question.

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Migrants en Méditerranée : un capitaine témoignepar Europe1fr