Mexique : vers une légalisation des drogues ?

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Aurélie Frex , modifié à
DECRYPTAGE - Felipe Calderon a évoqué cette possibilité pour affaiblir les cartels.

Légaliser les drogues pour lutter contre la violence des cartels. C’est la solution qu’a suggérée le président Felipe Calderon lundi, dans le cadre de la guerre qu’il a engagée depuis 2007 contre les puissants narcotrafiquants. Sa logique est claire : faire baisser le prix des drogues pour réduire les revenus astronomiques des cartels. En les rendant moins puissants, il souhaite ainsi enrayer le violence. Mais ce projet est-il vraiment envisageable ?

"Nous devons tout faire pour réduire la consommation de drogues. Mais si elle ne peut être limitée, alors les décideurs devront rechercher d'autres solutions - y compris des alternatives de marché - pour réduire les revenus astronomiques des organisations criminelles", a lancé le chef de l'Etat devant l’Americas Society de New York. Un discours qui visait directement son voisin américain : "Nous vivons dans le même immeuble. Et notre voisin est le premier consommateur de drogues au monde. Et chacun veut lui vendre de la drogue en passant par nos portes et nos fenêtres", a-t-il attaqué.

Une guerre ouverte contre les trafiquants

Depuis son élection fin 2006, Felipe Calderon a fait de la lutte contre le trafic de drogue son cheval de bataille. 36.000 personnes ont été incarcérées pour trafic ou consommation depuis quatre ans. "Il y a un gros problème au Mexique, c’est qu’on n’arrive pas à savoir qui sont les trafiquants de drogue et qui sont les consommateurs. Il faut donc diminuer le nombre de détenus, et légaliser la drogue", analyse Jean Rivelois, spécialiste des cartels mexicains, pour Europe1.fr.

Car, depuis plusieurs années, les Etats-Unis ont entamé une politique de fermeture des frontières, alors que la quantité de drogue produite au Mexique, ou qui y transite, est toujours la même. Les trafiquants cherchent donc à écouler cette drogue, et la consommation a tendance à augmenter au Mexique. "S’il y a de plus en plus de consommation, il y a aussi de plus en plus de répression, et donc des prisons engorgées", explique Jean Rivelois.

"Il ne s’agit pas de légaliser le trafic de drogues, mais seulement la consommation. Et il ne devrait pas s’agir de toutes le drogues", ajoute-t-il, alors que Felipe Calderon n’a pas précisé son projet. Selon lui, "on va faire en sorte qu’une petite quantité de drogue soit légale. Avoir sur soi la consommation d’une journée par exemple".

Le problème numéro 1, la violence

Pour les Mexicains, le problème le plus important n’est pas forcément la consommation de drogues, mais plutôt la violence liée aux très puissants cartels d’un marché qui représente jusqu'à 29 milliards de dollars par an. Dans certains Etats, comme le Chihuahua, ils échappent complètement au pouvoir fédéral. "Le vrai problème pour le Mexique est que le trafic de drogues est utilisé dans les deux sens. On envoie de la drogue aux Etats-Unis et on importe des armes au Mexique", décrypte Jean Rivelois. Conséquence directe : la guerre contre les cartels et les violences liées autrafic de narcotiques a fait plus de 42.000 morts au Mexique depuis 2007.

Depuis très longtemps, les Mexicains demandent donc à ce qu’il n’y ait plus d’arme en vente libre de l’autre côté de la frontière. D’où l’annonce d’une possible légalisation de la drogue au Mexique, qui pourrait représenter un chantage, destiné à faciliter des pressions bilatérales avec les Etats-Unis.

Vers la négociation ?

Au Mexique, le débat sur la légalisation des drogues ne date pas d’aujourd’hui. Il en avait été fortement question l’an dernier, lorsque l’ancien président Vincente Fox avait estimé sur son blog qu’il fallait légaliser les drogues. Fox voulait alors légaliser la production, la vente et la distribution de drogues, de façon à couper l’herbe sous le pied des trafiquants. A cette époque, Felipe Calderon s’était opposé au projet, tout en appelant à ouvrir un débat national sur le sujet.

En réalité, la grande question qui se pose actuellement au Mexique est celle de la négociation avec les cartels de la drogue. Alors qu’une élection présidentielle a lieu l’an prochain, les Mexicains pourraient bien voter pour le parti révolutionnaire, principal opposant au président actuel Ce parti veut faire baisser la violence au Mexique en négociant avec les narcotraficants. La voix intermédiaire proposée par Calderon, celle de la légalisation de la consommation pourrait ne pas suffire. "Malheureusement, cela ne changera rien au pouvoir des cartels", affirme Jean Rivelois.

Légaliser les drogues pour canaliser la violence est une idée qui fait aussi débat dans d'autres Etats producteurs de la région, comme le Guatemala, mais aussi dans les pays consommateurs. En France, le débat sur la dépénalisation du cannabis est toujours ouvert, et devrait être un des grands sujets de la campagne présidentielle.

Jean Rivelois est l’auteur de Drogue et Pouvoir: du Mexique au Paradis aux éditions L’Harmattan.