Magnitsky, ce juriste condamné à titre posthume

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Charles Carrasco avec AFP , modifié à
RETOUR SUR - Cet avocat, mort en prison, a été à l’origine d’un conflit entre la Russie et les Etats-Unis. 

L’INFO. Pendant des années, cette affaire a empoisonné les relations entre les Etats-Unis. A l’origine de ce conflit : la mort suspecte en 2009 de Sergueï Magnitski, un avocat russe, incarcéré dans son pays, qui est devenu un symbole de la lutte contre la corruption. Jeudi, ce juriste du fonds occidental Hermitage Capital a été reconnu coupable à titre posthume de fraude fiscale par un tribunal de Moscou. Le patron de ce fonds, le Britannique William Browder, jugé par contumace pour évasion fiscale, a également été reconnu coupable et condamné à neuf ans de camp par coutumace.

> Europe1.fr revient sur ce feuilleton judicaire et diplomatique aux multiples rebondissements.

EPISODE 1 : Il est arrêté en 2008

Tout commence en 2005 quand William Browder n’est plus autorisé à venir à Moscou à cause d'un visa qui a été annulé. Cet homme est à la tête du plus important fonds d’investissement étranger en Russie. Le 4 juin 2007, la police effectue une perquisition au siège de son entreprise et chez ses avocats et des documents sont saisis. Ces derniers vont être à l'origine d'une gigantesque fraude de 5,4 milliards de roubles (130 millions d'euros). Sergueï Magnitski, conseiller d'Hermitage Capital, découvre que les documents ont été utilisés pour procéder à un changement de propriétaire de l'entreprise. Une fois ce changement effectué, ces sociétés déclarent au fisc qu'elles sont déficitaires d’environ un milliard de dollars et demandent le remboursement de sommes versées à titre d'impôt. D’après Magnitski, des responsables de la police et du fisc ont ourdi cette arnaque financière, au détriment de son employeur et de l’État russe.

EPISODE 2 : Il meurt en prison

tombe de sergueï magnitski

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Par la suite, l'avocat a été inculpé de fraude fiscale par les responsables qu'il dénonçait. A l'issue de 11 mois de détention provisoire, Magnitski est mort dans une prison de Moscou en 2009 à l'âge de 37 ans.  Une expertise sans effet juridique a montré que le juriste avait été victime de violences et avait été privé intentionnellement de soins en prison, mais les autorités russes ont estimé qu'il n'y avait eu ni violences physiques ni torture et ont classé l'enquête.

EPISODE 4 : Un mandat d’arrêt contre Browder

Depuis la mort de Sergueï Magnistski, William Browder a fait campagne pour que des sanctions internationales soient prises contre les personnes impliquées dans la mort du juriste, qui n'ont pas été inquiétées par la justice russe. Le patron du fonds n’est d’ailleurs jamais revenu en Russie et accuse le président Vladimir Poutine de cautionner la corruption. Par la suite, la Russie a délivré un mandat d'arrêt international contre William Browder et a réclamé son extradition. Mais Interpol a refusé de valider cette demande, estimant que ce dossier était "principalement de nature politique".

EPISODE 5 : la "Guerre froide"

L'affaire Magnitski est à l'origine d'un conflit diplomatique entre Moscou et Washington aux relents de Guerre froide. Les Etats-Unis ont adopté en décembre dernier une loi prévoyant des sanctions économiques et l'interdiction de séjour, à l'encontre des individus impliqués dans le décès de Magnitski, ainsi que de toute personne responsable de graves violations des droits de l'homme. La Russie a répondu en adoptant le même mois une loi prévoyant des mesures symétriques à l'égard d'une liste d'Américains. Elle a interdit dans la foulée l'adoption d'enfants russes par des Américains. Des pays européens ont également critiqué cette affaire, mais aucun n'a été jusqu'à adopter officiellement comme les Etats-Unis une "liste Magnitski".

> A lire : ZOOM : USA vs Russie : la guerre des listes

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Mais au fait, un procès post-mortem, c’est possible ? Les procès post-mortem sont possibles en Russie depuis une décision rendue en juillet 2011 par la Cour constitutionnelle qui a estimé qu'un prévenu décédé pouvait être jugé si sa famille en faisait la demande à des fins de réhabilitation. Mais dans le cas de Magnitski, ni la veuve ni la mère du juriste n'ont émis un tel souhait, protestant au contraire contre la réouverture de l'enquête en août 2011 par le parquet. Pour la politologue Maria Limpan, du Centre Carnegie de Moscou, les autorités russes cherchent à montrer à travers ce procès que Magnitski et Browder sont les seuls "coupables". "La Russie insiste sur le fait que les coupables ne sont pas ceux qui sont sur la liste (Magnitski), mais Magnitski lui-même et Browder", a-t-elle déclaré, qualifiant la procédure d'"absurde et immorale".