Liens entre le cimentier français Lafarge et l'Etat islamique : des témoignages accablants

Lafarge est accusé d'avoir versé d'importantes sommes d'argent à Daech.
Lafarge est accusé d'avoir versé d'importantes sommes d'argent à Daech. © THOMAS SAMSON / AFP
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Jean-Sébastien Soldaini avec J.R. , modifié à
Un ex-responsable du cimentier a reconnu le versement d’importantes sommes d’argent au groupe terroriste pour préserver une usine en Syrie. 

L’étau se resserre autour de Lafarge. Selon Le Monde daté de jeudi, le cimentier franco-suisse a bel et bien versé, en toute connaissance de cause, d’importantes sommes d’argent au groupe État islamique afin de préserver sa cimenterie en Syrie. Le quotidien, qui a eu accès à l’enquête ouverte par la justice pour "financement d'entreprise terroriste" et de "mise en danger de la vie d'autrui", publie des extraits d’audition accablants.

20.000 dollars par mois. Selon Bruno Pescheux, ancien PDG de la filiale de Lafarge en Syrie, un accord a bel et bien été passé avec l’EI. Le but : laisser les ouvriers du site aller et venir sans être attaqués sur leur trajet, et puis permettre à l'usine de s'approvisionner avec des matières premières en provenance de territoires contrôlés par les terroristes.

Les dépenses étaient même justifiées par des notes de frais. "Avez-vous vu le nom de Daech sur ces notes ?", ont demandé les enquêteurs à Bruno Pescheux. "Oui", répond-il dans les documents auxquels Le Monde a eu accès. Autre question posée, qui concerne la somme d’argent prévue pour l’EI. "20.000 dollars par mois", répond l’ancien responsable.   

Le Quai d’Orsay les auraient inciter à rester. Malgré le risque pour les salariés, Lafarge avait donc choisi de rester en Syrie. Bruno Pescheux semble justifier ce choix en disant que son usine pourra "fournir du ciment pour reconstruire" le pays après la guerre. Un choix qu'un autre responsable assume en affirmant que le Quai d'Orsay, via des diplomates français, les incitaient à rester.

Contre la défense officielle de Lafarge. Ces extraits d’audition vont à l'encontre de la défense officielle de Lafarge. L'entreprise reconnaît des versements à des groupes armés, sans admettre que le destinataire était bien l'État islamique. Pourtant Mahmmud, un employé de l'usine, avait confirmé à Europe 1 que les responsables agissaient en pleine connaissance de cause. Il avait vu ces documents, estampillés Daech, donnés aux conducteurs des camions de ciment.

"Les gens des villages alentours ne pouvaient même pas acheter une goutte d'huile pour faire la cuisine sans l'accord de Daech. Alors comment voulez-vous que Lafarge fasse circuler des milliers de litres de fioul, des milliers de tonnes de matières premières, sans que Daech ne le sache ? C'était du donnant-donnant. Lafarge voulait continuer à produire et Daech voulait de l'argent donc chacun avait besoin de l'autre", racontait-il. 

Trois ex-salariés syriens entendus. Trois ex-salariés syriens de la cimenterie de Lafarge en Syrie ont également été entendus cette semaine par les juges d'instruction chargés de l'enquête sur le groupe. Au cours de leurs auditions, les anciens salariés ont confirmé "le caractère accablant des éléments qui pourraient être retenus contre Lafarge", a indiqué leur avocate Marie Dosé. Les ex-salariés, un informaticien, un ingénieur et un employé chargé des emballages dans l'usine, venus spécialement de Syrie pour répondre à la convocation des magistrats, ont été entendus pendant plusieurs heures lundi, mardi et mercredi.