L’Europe s’inquiète du nouveau tour de vis d’Orban

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche à Budapest en soutien à la CEU.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche à Budapest en soutien à la CEU. © AFP
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Clémence Olivier , modifié à
Plusieurs lois controversées ont été promulguées récemment en Hongrie. La dernière en date, dirigée particulièrement contre une université, a déclenché de vives protestations dans le pays.
INTERVIEW

La Commission européenne se penche mercredi sur les "tendances très inquiétantes" à l'oeuvre selon elle en Hongrie, après la promulgation d'une récente série de réformes : une loi qui autorise la détention systématique des migrants et une autre, adoptée lundi soir, qui prévoit notamment de priver de licence les instituts d'enseignements étrangers qui ne disposent pas de campus dans leur pays d'origine. Cette loi vise plus particulièrement la CEU, l'Université d'Europe centrale, fondée par le milliardaire américain d'origine hongroise George Soros, bête noire du Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Les Hongrois sont appelés mercredi à descendre dans la rue pour manifester contre ces réformes, après une semaine de protestations.

Comment expliquer un tel tour de vis de la part de Viktor Orban ? L'Europe a-t-elle raison de s'inquiéter ? Et ces mouvements sont-ils inédits? Hélène Bienvenu, journaliste et correspondante de La Croix et du New-York Times à Budapest nous éclaire.

  • Que se passe-t-il en ce moment en Hongrie ?

Des manifestations d'envergure sont organisées en Hongrie depuis une semaine. Dimanche à Budapest, 80.000 personnes se sont réunies pour manifester contre la loi adoptée lundi sur les universités. Les manifestants considèrent qu'il s'agit pour Viktor Orban, le Premier ministre, de faire un pied de nez à George Soros mais ils dénoncent aussi la mise en danger de la liberté d'enseignement. Les professeurs, les universitaires craignent que cette loi soit répercutée sur d'autres universités hongroises. La loi est perçue comme une menace sur le plan de la transmission des savoirs et sur le plan de la démocratie. Plus généralement, la manifestation vise la politique de Viktor Orban.

  • Est-ce inédit ?

C'est relativement inédit. On n'avait pas vu ce type de mobilisation depuis 2014 et le projet de taxe sur les téléchargements internet, jugé liberticide, et finalement abandonné par Viktor Orban.

  • Pourquoi Viktor Orban, s'est-il lancé dans de telles réformes ?

Il cherche à faire taire ses opposants mais surtout à rester fidèle à une rhétorique qu'il a enclenché depuis quelques temps contre l'immigration, contre Bruxelles et contre George Soros, pour marquer des points dans son propre camp. Jusqu'à maintenant, Viktor Orban avait fait de l'immigration sa priorité. Mais aujourd'hui, les frontières sont fermées, les migrants sont systématiquement détenus. On voit donc mal ce qu'il peut faire de plus sur ce sujet.

Le Premier ministre s'est donc trouvé un nouvel ennemi. Aujourd'hui, c'est George Soros, ce financier installé aux Etats-Unis, figure du capitalisme mondial, qui s'exprime très rarement dans les médias et que Viktor Orban accuse d'utiliser des "canaux dévoyés", des ONG, pour faire avancer sa cause progressiste.

  • Que dit l'Europe ?

L'Europe met régulièrement en garde la Hongrie. Elle s'est dite inquiète des dernières réformes. Elle a envoyé un commissaire européen afin de contrôler si la nouvelle réforme prévoyant la mise en détention systématique des migrants est en conformité avec les droits de l'homme. Même le PPE, le parti populaire européen, allié politique de Viktor Orban, qui le soutenait jusque là sur les questions d'immigration notamment, est bien mal à l'aise face cette réforme de l'université.  Viktor Orban perd donc une tutelle.

  • Pour autant l'Europe peut-elle agir ?

Certains journalistes hongrois affirment que la marge de manœuvre de Bruxelles est très limitée du fait notamment de la campagne anti-européenne qui est menée dans le pays. Viktor Orban a lancé une consultation nationale sur le thème de l'immigration avec un message anti-européen fort. Bruxelles pourrait alors craindre qu'une nouvelle action contre le Premier ministre ne serve sa cause plutôt que ne lui barre la route.