L'ELN, cette autre guérilla qui ensanglante la Colombie

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Après avoir compté jusqu'à 6.000 combattants dans les années 1990, l'ELN n'en compte plus qu'environ 1.500 aujourd'hui. © LUIS ROBAYO / AFP
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Dimanche, la Colombie a été frappée par des attentats qui portent la marque de l'ELN, une guérilla marxiste fondée comme les Farc en 1964. 

Il y a un peu plus d'un an, Bogota signait la paix avec les Farc, un accord salué dans le monde entier et qui a valu au président Juan Manuel Santos le prix Nobel de la paix en 2016. Mais alors que la célèbre guérilla marxiste a maintenant rendu les armes et s'est reconvertie en parti politique, la paix n'est pas pour autant revenue en Colombie. En cause, l'existence d'un autre mouvement rebelle, l'ELN ou Armée de libération nationale, qui, depuis 1964, sème la terreur dans le pays. Pas plus tard que dimanche dernier elle a perpétré trois attentats qui ont tué sept personnes, dont un dans un commissariat. De quoi convaincre Juan Manuel Santos d'annuler les négociations de paix qui devaient débuter cette semaine. Portrait de cette guérilla marxiste, une des dernières au monde. 

Un parti politique... en armes.

L'ELN est né en 1964 dans le département de Santander, à l'est de Medellin. Tout comme les Farc, apparus aussi cette année-là, elle s'est inspirée de la révolution cubaine qui a mené en 1959 Fidel Castro au pouvoir. Mais si ces deux guérillas s'inspirent de la même idéologie communiste, elles diffèrent quant à leur composantes sociales. Si les Farc étaient issus du monde paysan, les "elenos" (membres de l'ELN) ,eux, sont à l'origine des étudiants mais aussi des professeurs. Ils attirent aussi beaucoup de catholiques, séduits par sa "théologie de libération des pauvres". Cette armée de libération a même été dirigée par un prêtre, Manuel Perez, de 1983 à 1998.

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Mais la différence fondamentale entre les Farc et l'ELN réside dans leur nature même. A l'opposé de sa grande sœur constituée en milice d'autodéfense à l'organisation verticale et militarisée, l'ELN revendique un statut de parti politique. Son ambition est très simple : prendre le pouvoir pour installer en Colombie un "gouvernement démocratique et populaire". Dans leur manifeste, ses combattants réclament, entre autres, la nationalisation des ressources minières et des transports, la distribution des terres aux paysans qui les travaillent et le respect des droits des indigènes.

Racket, enlèvements et ressources minières

Pour financer leurs actions, les "elenos", dans un premier temps, ne se sont pas basés sur l'économie de la coca comme ont pu le faire les Farc mais ont plutôt racketté le secteur industriel et exploité des mines de manière clandestine. L'organisation a manqué disparaître après une vaste offensive de l'armée colombienne à Anori en 1973. Elle renaît pourtant de ses cendres notamment en rackettant les entreprises pétrolières. Et quand Ecopetrol refuse de lui verser une "taxe révolutionnaire", l'ELN attaque un de ses oléoducs à de très nombreuses reprises, au mépris des conséquences environnementales.

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Enfin, des rapts d'ingénieurs d'entreprises pétrolières et des prises d'otages permettent aux "elenos" de récupérer des rançons. L'attaque d'une église à Cali en 1999 a notamment marqué les esprits. 40 guerilleros s'étaient emparés de 40 fidèles dont le prêtre avant de les amener en camion. Des pratiques qui ont poussé les Etats-Unis, le Canada et l'Union européenne a placer l'ELN sur leur liste d'organisations terroristes. Aujourd'hui, dans un conflit qui s'est durci et dans un contexte où les Farc ne leur font plus de concurrence, les combattants de l'ELN ont décidé aussi d'exploiter le commerce de la cocaïne.

Une paix impossible ?

Si l'ELN a vu ses effectifs diminuer (de 6.000 dans les années 1990 à environ 1.500 combattants aujourd'hui), elle est toujours dangereuse comme le prouve les attentats qu'elle a mené le week end dernier. Les tentatives passées de paix, elles, ont échoué. Un cessez-le-feu signé en 1984 n'a été que temporaire. En 2001, des négociations ont été vite suspendues. Une énième phase de discussions ouverte en 2014 a mené le 1er octobre 2016 à un cessez-le-feu en vigueur jusqu'au 9 janvier. Et les négociations qui étaient prévues pour les jours suivants ont été finalement suspendues suite à de nouvelles attaques. "Ma patience et la patience du peuple colombien a ses limites. J'ai pris la décision de suspendre le début du cinquième cycle de négociations qui devait débuter dans les jours qui viennent, jusqu'à ce que nous voyions de la cohérence entre les mots et les actes de l'ELN", a déclaré lundi le chef de l'État Juan Manuel Santos.

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L'organisation interne de l'ELN ne facilite pas les négociations : très décentralisée et horizontale. Pas de hiérarchie et de dirigeants représentatifs de la base comme chez les Farc. L'ELN a, certes, un chef, Nicolas Rodriguez Bautista dit "Gabino" mais sa pratique de la démocratie participative l'empêche de parler d'une seule et même voix. A ses combattants, il faut en effet ajouter plusieurs milliers de "miliciens" (des civils) qui, répartis dans une poignée de départements, fonctionnent en différents fronts, chacun totalement autonome. "Comment arriver à un accord avec une organisation dans laquelle tout le monde donne tout le temps son avis ?", s’interrogeait un haut fonctionnaire dans les pages du Monde en février 2017. Dans un tel contexte, les perspectives de paix sont aujourd'hui minces.