Le pape ressemble à "Giscard d’Estaing"

Selon Odon Vallet, le pape "veut changer des choses car le monde évolue sans pour autant tout changer car l'Evangile est éternelle".
Selon Odon Vallet, le pape "veut changer des choses car le monde évolue sans pour autant tout changer car l'Evangile est éternelle". © REUTERS
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Charles Carrasco avec Thomas Sotto , modifié à
LE POINT DE VUE DE - Pour Odon Vallet, historien des religions, le pape François veut faire "le changement dans la continuité".

L’INFO. Ses prédécesseurs s’exprimaient beaucoup plus rarement. Le pape François lui a livré le fond de sa pensée jeudi, dans sa toute première interview, sur des thèmes brûlants de société, en recommandant la "miséricorde" pour les homosexuels, les divorcés et les femmes ayant avorté. Il a invité à "accompagner" les personnes dans leur cheminement et leur complexité.

>>> S’agit-il d’une véritable révolution au sein de l’Eglise ? Odon Vallet, spécialiste des religions, décrypte cette communication du souverain pontife.

Europe 1 : Dans cette interview, le pape déclare être "un peu pécheur, un peu rusé, un peu ingénu". Que veut-il dire ?

Odon Vallet : Nous sommes tous de pauvres pécheurs, on le dit dans l'Ave Maria ! Le pape François ressemble beaucoup à Valéry Giscard d'Estaing ! Le changement dans la continuité ! Il veut changer des choses car le monde évolue sans pour autant tout changer car l'Evangile est éternelle. C’est un subtil mélange. C'est très difficile à comprendre. Il dit qu'il faut faire preuve de discernement : ne pas faire n'importe quoi mais ne pas refuser le changement. Comme Giscard avait commencé en réformant les mœurs -la majorité à 18 ans,  le divorce, l’interruption volontaire de grossesse-, le pape commence à parler des divorcés remariés, du mariage des prêtres..."

Le Pape et Giscard, même combatpar Europe1fr

E1 : Il a aussi une formule qui lui permet de parler de tous les sujets sans avoir l’air d’y toucher. Il dit : "qui suis-je pour juger ?"

O.V. : Ne juge si tu ne veux pas être jugé, dit l'Evangile. Il ne veut pas être prisonnier du passé. Mais sans tout changer. Certains se demandent s'il ne va pas trop loin, s'il n'est pas  en train de désarçonner les uns les autres. Il fait peur ! Benoit XVI a déjà réduit le prestige de sa fonction en renonçant. Lui le fait en parlant, téléphonant, discutant, en ayant un gouvernement beaucoup plus collégial avec des consultations. Mais c'est nécessaire ! S'il ne le faisait pas comme il l'a dit, l'Eglise risquerait de s'écrouler dans un conservatisme moral.

E1 : Son futur n°2 a semblé vouloir ouvrir le débat sur le célibat des prêtres. Y’a-t-il une chance que François soit le premier pape qui autorise le mariage des prêtres ?

O.V. : On ne sait pas. Le pape sera sans doute plus indulgent. Les nonces apostoliques ont connaissance de milliers de prêtres et d'évêques qui ont compagnes et enfants. Soit ils leur disent de démissionner ou ils ferment les yeux. En Afrique,  on estime que ^plus de la moitié des prêtres et des évêques sont comme ça. En Amérique latine, presque autant. A mon avis, il ne va pas les virer ! Ça ne veut pas dire qu'il va autoriser le mariage des prêtres !

pape lampedusa 930

© Reuters

E1 : C’est l’image forte de son début de mandat : cet été, à Lampedusa, lorsque François est entouré de dizaine de milliers de migrants. Que voulait-il dire ?

O.V. : Il voulait dire qu'il y a des Tunisiens, des Libyens, des Africains, qui sont arrivés à Lampedusa, qu'il fallait y faire attention. Il a eu raison de le dire : il y a une détresse incroyable de ces jeunes africains qui ont fait des études et ne trouvent pas d'emploi.

E1 : A-t-il réussi son début de mandat ?

O.V. : Oui. Il est rusé, malin. Il est jésuite ! En même temps, on voit bien qu'il ne doit pas aller trop vite. Mais s'il ne le fait pas, il risque d'aller trop lentement : il sait qu'il est relativement âgé, il ne veut pas perdre de temps, il n'aura pas 20 ans devant lui. Sans aller trop vite, sans confondre vitesse et précipitation.