Le droit des peuples à l’autodétermination s’applique-t-il en Crimée ?

Les Criméens se préparent au référendum de dimanche
Les Criméens se préparent au référendum de dimanche © Reuters
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C’est un des arguments de la Russie pour le référendum de dimanche, en Crimée. Mais les pays occidentaux refusent de le prendre en compte. Europe 1 vous explique pourquoi.

L’INFO. Les habitants de Crimée voteront dans quelques jours pour décider de leur rattachement ou non à la Russie. En attendant, le Parlement de la région a déjà déclaré unilatéralement l’indépendance de la péninsule. Il a notamment mis en avant "toute une série [de] documents internationaux établissant le droit des peuples à l’autodétermination". La Crimée aurait-elle le droit de faire sécession ? Europe 1 fait le point.

Une question de colonisation. La Charte des Nations Unies, fondatrice de l'ONU, consacre que les “relations amicales” entre les nations sont fondées sur "le respect […] de leur droit à disposer d’eux-mêmes".

Mais malgré tout, comme l’écrit la référence Encyclopédie universalis, "différentes résolutions l’ont formalisé en limitant son champ d’application". Les Nations unies adoptent en 1960 une résolution qui précise ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La résolution n°1514 précise que seuls les peuples qui ont subis une "subjugation, domination et exploitation étrangères" peuvent prétendre au droit à l’autodétermination. Il ne peut s’inscrire que dans un contexte de décolonisation. L’Algérie, le Niger, le Cameroun ont donc pu avancer cet argument lors de leur prise d’indépendance.

"Le droit à l’autodétermination des peuples est donc ici hors sujet", explique Jean-Marc Thouvenin, professeur de droit international à Paris Ouest Nanterre-La Défense, à Libération. "Et la sécession n’est en aucun cas favorisée par la charte des Nations unies, rédigée par des États, pour des États", continue-t-il.

Un droit universel ? Mais cette vision des choses est contestée, au sein de la communauté des chercheurs en droit. Pourquoi certains peuples auraient droit à l’autodétermination et d’autres, non ? Ne s’agit-il pas d’un droit universel ? Jean Charpentier, professeur émérite à la faculté de droit et des sciences économiques de l’Université Nancy II, contredit la vision de l’ONU. Il estime injuste d’autoriser les peuples colonisés à faire sécession et de l’interdire aux autres peuples.

“La liste des peuples à qui a été refusé le droit à la sécession est impressionnante”, écrit-il, citant le Katanga au Congo, le Biafra au Nigéria mais aussi le Bangladesh et l’Erythrée.

Eirthrée

© Un ministre de l'Erithrée à l'ONU

Il considère que "l’honnêteté intellectuelle ne permet que deux attitudes. Soit on déplore ces précédents et on considère qu’ils constituent des violations malencontreuses d’un principe incontesté". Soit on estime que ces précédents "traduisent la volonté de la grande majorité des membres de l’ONU de favoriser la sécession dans le cadre de la décolonisation et de la refuser ailleurs", selon Jean Charpentier. Or, sa conclusion est tranchée : soit le droit des peuples à l’autodétermination existe pour tout le monde, soit il ne doit s’appliquer à personne.

Une version allégée. Pourtant, l’ONU avait prévu une sorte de droit a minima. A défaut de pouvoir créer leur propre Etat, les peuples qui ne sont pas sous le joug d’un colonisateur peuvent y prétendre "avec une dimension interne", explique Pierre Bodeau-Livinec, professeur de droit public à l’université Paris-VIII, interrogé par Francetv info. "Au sein d’un Etat, les peuples ont le droit à l’autodétermination, mais ce ne doit pas remettre en cause l’intégrité d’un Etat", explique-t-il. "Un peuple a le droit de participer à la gestion de ses affaires politiques, mais n’a pas de droit à l’indépendance", souligne le professeur.

Au sein de l’Ukraine, la Crimée jouissait d’un statut spécial, qui lui permettait justement d’avoir des prérogatives particulières et plus d’autonomie par rapport à Kiev. Selon la définition de l’ONU, Simféropol profitait donc déjà de ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et c’est bien ce qu’argumentent les pays occidentaux, qui refusent catégoriquement de reconnaître le référendum de dimanche.