LafargeHolcim admet des pratiques "inacceptables" en Syrie : les questions qui se posent

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A.H. , modifié à
Soupçonné d'avoir financé "indirectement" l'Etat islamique pour assurer la sécurité d'une cimenterie en Syrie, le groupe LafargeHolcim a reconnu jeudi des "arrangements inacceptables".

C'est un mea culpa. Jeudi, le géant des matériaux de construction LafargeHolcim a admis dans un communiqué avoir conclu des arrangements "inacceptables" pour assurer la sécurité d'une cimenterie en Syrie, déchirée par la guerre, en 2013 et 2014. En clair, le groupe admet avoir "indirectement" financé des groupes armés. Des aveux qui sonnent comme une première victoire pour l'ONG Sherpa, association spécialisée dans la "défense de victimes de crimes économiques" qui avait déposé plainte en novembre à Paris contre le cimentier français, pour financement du terrorisme, complicité de crimes contre l'humanité et complicité de crimes de guerre.

  • Quelles sont les explications de LafargeHolcim ? 

Depuis la révélation de l'affaire par Le Monde en juin dernier, et les plaintes déposées par Bercy et différentes ONG, Lafarge a laissé s'installer une longue période de silence, pendant laquelle l'entreprise a mené une enquête interne indépendante. "Les résultats de cette enquête montrent que la détérioration de la situation politique en Syrie a entraîné des défis très difficiles quant à la sécurité, les activités de l’usine et les employés. Cela incluait des menaces pour la sécurité des collaborateurs ainsi que des perturbations dans les approvisionnements nécessaires pour faire fonctionner l’usine et distribuer ses produits", justifie le groupe dans son communiqué.

Lafarge explique que sa filiale locale, Lafarge Cement Syria, "a remis des fonds à des tierces parties afin de trouver des arrangements avec un certain nombre de ces groupes armés, dont des tiers visés par des sanctions". Des mesures "inacceptables", couplées à des "erreurs de jugement significatives", juge le groupe. Pour LafargeHolcim, les responsables de sa filiale syrienne semblent avoir voulu agir dans "l'intérêt de l'entreprise". 

  • Que savait vraiment la maison-mère ?

Si le cimentier reconnaît "indirectement" de mauvais agissements, il fait essentiellement porter le poids de la faute sur sa filiale syrienne. Or, pour l'ONG Sherpa, ces contacts opérés avec des groupes armés ne pouvaient être inconnus du groupe. "L’enquête interne de Lafarge ne pourrait en tout état de cause laisser entendre que la responsabilité des liens avec les groupes armés revenait uniquement à la filiale syrienne du groupe. La maison mère française détenait 98,7% de cette filiale, et était à l’origine et au courant de toutes les décisions prises sur place", affirme Marie-Laure Guislain. 

  • Quelles vont être les suites judiciaires ? 

"De tels aveux, c'est inédit", affirme Marie-Laure Guislain, de l'ONG Sherpa, interrogée par Europe1.fr jeudi. "Ils montrent le sérieux des 200 pièces produites à notre plainte", se réjouit-elle. Une enquête préliminaire a été ouverte en octobre. "Un juge d’instruction devrait être désigné dans les deux prochains mois. Il devra faire la lumière sur les faits, et les caractériser, en étudiant les différents fondements que nous avons soumis dans la plainte : financement de terrorisme, complicité de crimes de guerre et contre l’humanité, et mise en danger délibéré des salariés syriens", indique l'avocate de Sherpa. 

 

>> Retour sur l'affaire

L'affaire éclate il y a huit mois. En juin dernier, Le Monde révèle "les troubles arrangements" de Lafarge avec l'Etat islamique pour qu'une de ses cimenteries située à Jalabiya puisse continuer à fonctionner en 2013 et 2014, avant que l'EI ne s'empare du site et annonce l'arrêt de toute activité. Le journal raconte alors que l'entreprise avait cherché à garantir l'accès à l'usine de ses ouvriers et des marchandises alors que plusieurs points de la zone étaient contrôlés par l'EI, en missionnant un intermédiaire pour obtenir des laissez-passer aux checkpoints. 

Pour pouvoir fabriquer le ciment, Lafarge est aussi passé par "des intermédiaires et des négociants qui commercialisaient le pétrole raffiné par l'EI, contre le paiement d'une licence et le versement de taxes", assure alors le journal.