"La Tunisie est face à une impasse"

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3 QUESTIONS A – Beligh Nabli, chercheur à l’Iris, décrypte la flambée de violence qui touche le pays depuis une semaine.

Le contexte. La tension monte et les violences se propagent en Tunisie. La mort d’un jeune chômeur de 28 ans dans la région de Kasserine, dans le centre du pays, samedi dernier, a mis le feu aux poudres. Des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du pays, gagnant les quartiers populaires de la capitale Tunis.

>> La Tunisie est-elle à la veille d’une nouvelle explosion sociale ? Le chercheur et spécialiste de la Tunisie, Beligh Nabli, auteur de La géopolitique de la Méditerranée (Armand Colin) décrypte les événements des derniers jours.

Doit-on craindre un nouveau "Printemps arabe" en Tunisie ?
Depuis la chute de Ben Ali, en 2011, les Tunisiens ont connu beaucoup de déception au cours de la période de transition démocratique. Une période marquée par un désenchantement démocratique, qui nourrit une explosion de la violence dans le pays. On ne peut donc nier les risques de propagation.

La situation actuelle n’est pas sans rappeler le processus qui était né fin 2010, début 2011, lorsque la mort d’un jeune marchand ambulant, a cristallisé la vague de protestation. Des protestations qui ont éclaté dans les mêmes territoires qu’aujourd’hui, c’est-à-dire dans le centre du pays et qui se sont ensuite propagées au reste de la Tunisie.
 
 Qu’est-ce qui a changé en Tunisie depuis la révolution ?
Les revendications de 2011 ont été entendues, il y a eu des annonces, mais il s’agissait d’effets d’annonce. Il n’y a eu aucune traduction concrète sur le terrain, ce qui a décrédibilisé la parole politique. Il y a, par exemple, un désengagement de l’Etat dans les régions de l’intérieur, là où se trouve Kasserine. Le taux de chômage, dans cette région, tourne autour de 25%. Ce décalage entre les annonces et la réalité nourrit la frustration d’aujourd’hui.

En même temps, le changement réside dans le fait que cette frustration peut, aujourd’hui, s’exprimer publiquement, librement, sur la place publique. Ces évènements ouvrent les journaux télévisés, ce qui n’était pas le cas au temps de l’ancien président Ben Ali. Et les responsables politiques sont appelés aujourd’hui à répondre de leur incurie.

Le gouvernement tunisien a-t-il les moyens de calmer la situation ?  
Le problème est qu’une fois que le processus de confrontation est  lancé, il est difficile de le canaliser. La solution serait d’annoncer des mesures fortes, en matière d’emploi essentiellement. Or, le gouvernement tunisien n’a pas de "baguette magique", pour reprendre une expression utilisée par le Premier ministre tunisien [Habib Essi, lors du sommet de Davos, NDLR]. Donc la Tunisie est face à une impasse qui peut susciter un emballement de la situation.

Beligh Nabli est chercheur à l’institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste du Maghreb et auteur de "La géopolitique de la Méditerranée", publié, en 2015, chez Armand Colin.