"La Syrie, alliée stratégique de la Russie"

Moscou a mis son veto à l'adoption d'une résolution sur la Syrie au conseil de sécurité de l'ONU.
Moscou a mis son veto à l'adoption d'une résolution sur la Syrie au conseil de sécurité de l'ONU. © REUTERS
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INTERVIEW - Un expert analyse le rôle de la Russie dans la crise syrienne.

Une résolution bloquée à l’ONU, une visite du chef de la diplomatie russe à Damas : depuis le début de la crise en Syrie, Moscou n’a cessé d’afficher son soutien au régime de Bachar al-Assad. Pourquoi un tel appui, alors que le conseil de sécurité de l'ONU gronde ? Fabrice Balanche, géographe, spécialiste de la Syrie et auteur de La région alaouite et le pouvoir syrien, décrypte pour Europe1.fr les raisons complexes qui poussent la Russie à ne pas lâcher le régime syrien.

Europe1.fr : En soutenant le régime de Bachar al-Assad, la Russie cherche-t-elle à protéger ses intérêts économiques ?

Fabrice Balanche : Sur le plan économique, la Russie n’a guère d’intérêt à soutenir la Syrie. Damas a commandé pour quelques centaines de millions de dollars d’armement, mais l’enjeu, c’est surtout de montrer que Moscou est un fournisseur fiable, qui respecte sa parole. C’est important sur le marché de l’armement mondial. Et la Syrie est un allié stratégique pour la Russie, qui a une base militaire à Tartous. C’est la seule base russe en Méditerranée, l’endroit rêvé pour installer des radars et prendre la Turquie en tenailles. Au final, cela dépasse le cadre de la Syrie : la Russie fait son come-back sur le plan international.

Il y a aussi la dimension du retour de la puissance orthodoxe : la Russie reprend son rôle de protecteur de la communauté orthodoxe, qui représente la majorité des chrétiens de Syrie. Ils sont tétanisés, craignent un scénario à l’irakienne et soutiennent le régime.

La Russie ne craint-elle pas aussi une forme de contagion du mouvement de protestation ?

Il y a une communauté d’intérêts entre Assad et Poutine : si on condamnait Assad, en cas de nouveaux troubles dans le Sud de la Russie [où vit une forte population musulmane, comme en Tchétchénie], Moscou pourrait à son tour être condamnée. Et ils ont les mêmes ennemis : les internationales islamistes, salafistes, qui se développent et considèrent que des musulmans n’ont pas à être gouvernés par des non-musulmans. Or, pour les sunnites, Assad, qui est alaouite, n’est pas musulman.

Est-ce que Moscou pourrait changer d’avis ?

Il y a peu de chances. Depuis la chute de l’URSS, la Russie est traitée comme un pays de seconde zone. Aujourd’hui, l’ours russe revient et s’affirme. L’erreur des Etats-Unis et de l’Europe, c’est de ne pas avoir intégré la Russie dans le camp occidental, dans l’Otan. Du coup la Russie est rejetée dans l’opposition. On en revient à une situation de "guerre froide", avec deux blocs.