La dégradation des relations entre Berlin et Washington, "une opportunité pour l'Europe"

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A.H.
Alors que le torchon brûle entre Donald Trump et Angela Merkel,  ce rapport de force pourrait bien renforcer le couple franco-allemand.
INTERVIEW

Le porte-parole de la Maison-Blanche l'a affirmé mardi : Donald Trump et Angela Merkel s'entendent très bien… Pourtant, lors des sommets de l'Otan et du G7, de vives tensions entre les deux dirigeants ont pu être constatées. Et mardi, sur Twitter - encore une fois - Donald Trump a vivement critiqué l'Allemagne, en dénonçant en grosses lettres le déficit massif des Etats-Unis vis-à-vis de l'Allemagne.

 

Rien de bien surprenant pour Berlin. En effet, avant même d'entrer à la Maison-Blanche, le milliardaire avait déclaré au journal Bild que son ennemi était l'industrie automobile allemande qui, selon lui, inonde le marché américain avec ses voitures. Le 45e président des Etats-Unis exige de l'Allemagne un traité commercial spécifique. Lors de leur première conversation téléphonique, Angela Merkel a dû lui expliquer à de nombreuses reprises que celui-ci n'était juridiquement pas possible. Mais visiblement, le message n'est toujours pas passé… Et cela commence à sérieusement échauder la chancelière.

D'autant que leurs relations n'ont pas commencé sous les meilleurs auspices. La première visite d'Angela Merkel à Washington avait été marquée par l'absence de la traditionnelle poignée de mains entre les deux dirigeants. S'en étaient suivies des critiques acerbes de Trump sur le budget que l'Allemagne consacrait à la défense, trop faible selon lui.

 

Pour Europe1.fr, Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), et spécialiste de l'Allemagne, analyse ce revirement dans les relations diplomatiques entre les deux pays.

Qu'est-ce que cette prise de distance de l'Allemagne vis-à-vis des Etats-Unis a d'inédit ?

Elle va à rebours de 70 ans de diplomatie américano-allemande. Les relations ont toujours été cordiales entre les deux pays, notamment sur la question de la sécurité. Au sein de l'Otan, les Allemands se sont toujours considérés comme de bons élèves. Et quand Donald Trump critique la part de leur budget de défense, ils se sentent trahis. La blessure allemande est très forte aujourd'hui. Nous, les Français, avons davantage l'habitude des bras de fer avec les Etats-Unis (en 2003 sur le refus français d'intervenir en Irak, par exemple). Pour les Allemands, c'est tout nouveau. C'est un instant de l'histoire intéressant, mais il peut être très fugace. Tout dépendra de la durée de vie du président américain à la Maison-Blanche.

Quel impact peut avoir cette dégradation des relations américano-allemandes sur l'Europe ?

C'est une opportunité immense, c'est même une fenêtre de tir fantastique pour relancer la construction européenne, alors que le Brexit menaçait de la disloquer. Ces relations tendues avec Washington alertent les Européens sur la nécessité de serrer les rangs. Lors du sommet de l'Otan, les pays d'Europe du Nord et d'Europe centrale se sont inquiétés de ne pas entendre Donald Trump évoquer la garantie de sécurité que les Etats-Unis leur offrent depuis décennies. Eux qui, pour leur défense, ne juraient que par les Etats-Unis, commencent à revoir leur copie.

Face à l'attitude de Donald Trump, la chancelière allemande avait notamment lancé : "Nous, Européens, devons prendre notre destin en main." C'est une excellente nouvelle, car cela signifie que la France et l'Allemagne retrouvent leur leadership. On l'a vu lors du sommet de l'Otan, lorsqu'Emmanuel Macron a "snobé" Donald Trump pour embrasser Angela Merkel. Le couple franco-allemand est soudé et veut aller dans la même direction. Cette attitude ferme renforce leur stature aux niveaux national et européen. Et qui sait, cette opportunité leur permettra peut-être de lancer des initiatives en terme de défense européenne.

Qui sont les grands perdants de cette recomposition ?

Indubitablement, les Britanniques. Ils ont toujours été particulièrement proches des Etats-Unis. Après le Brexit, leur allié principal, c'est eux, c'est Donald Trump. L'administration britannique doit être catastrophée de devoir traiter avec cet "ami" gênant et imprévisible…