La Chine invente le permis de "tweeter"

En Chine, cette entreprise, soutenue par le régime, a besoin d'une licence administrative pour exercer.
En Chine, cette entreprise, soutenue par le régime, a besoin d'une licence administrative pour exercer. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
Un système de points a été mis en place sur Sina Weibo afin de limiter la liberté d'expression.

C'est un cousin proche de nos réseaux sociaux et il est aujourd'hui utilisé par plus de la moitié des 500 millions d'internautes de Chine. Sina Weibo, un système hybride entre Facebook et Twitter qui sont tous deux interdits, est le site le plus populaire de microblogging de l'Empire du milieu. Depuis 2009, date de sa création, près de 300 millions d'internautes s'y rendent régulièrement.

Mais en Chine, cette entreprise, soutenue par le régime, a besoin d'une licence administrative pour exercer. En contrepartie de ses bonnes relations avec les dignitaires chinois, elle vient de mettre en place un permis à points pour les Internautes. Un nouvel outil de plus pour la censure.

Le permis web ressemble au permis de conduire

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Chaque utilisateur dispose de 80 points au compteur, un stock qu'il verra fondre s'il ne respecte pas les règles du réseau. Il est interdit de "répandre des rumeurs", "nuire à l’unité de la nation", "mettre en danger la sécurité nationale", "perturber l’ordre social", ou de "divulguer des informations privées". Lorsque vous atteignez zéro point, votre compte est supprimé. Un message d'alerte pour vous rappeler à l'ordre est envoyé dès le seuil des 60 points atteint.

Tout comme un permis de conduire, Sina Weibo a également prévu un système de récupération de points, via la participation à des opérations de promotion du régime. Si pendant deux mois, l'utilisateur ne commet aucune infraction, votre compteur se remet à 80 points.

Les rumeurs agacent le régime

Dès sa création, Sina Weibo a suscité la méfiance des autorités. Ce réseau social a été le premier relais des internautes pour critiquer les autorités pour leur gestion de l'accident de trains à grande vitesse qui avait fait quarante morts le 23 juillet 2011 dans l'est du pays.

bo xilai, chine

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Plus récemment, l'affaire de Bo Xilai, l'ex chef du Parti communiste à Chongqinq exclu et dont la femme est soupçonnée d'être impliquée dans un meurtre, avait suscité quantité de rumeurs sur la Toile. "Cela a fait le buzz sur Internet. Les gens se sont lâchés. Des rumeurs de coups d'Etat ont circulé et les tensions au sein du Parti communiste ont été évoquées sur Sina Weibo. Les dirigeants s'en sont émus", décrypte Fabienne Clérot, spécialiste de la Chine et chercheur à l'Iris, contactée par Europe1.fr.

Ce nouveau permis à points, à l'approche du Congrès traduit "un raidissement" des autorités, ajoute-t-elle, car "les rivalités, les dissensions, les rumeurs" ne doivent pas être étalées sur la place publique. En effet, le 18e Congrès doit entériner à l'automne 2012 la plus importante transition politique en Chine depuis une dizaine d'années.

La preuve que l'affaire est sensible : l'utilisation de mots codés comme "tomate" et "ragoût" ("bo" et "xi", qui avaient été utilisés pour faire référence à Bo Xilai) est également réprimée.

La Grande Muraille électronique

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Les microblogs sont un moyen particulièrement prisé par les Chinois pour communiquer et diffuser des informations. La politique Web du régime, communément appelée "Grande Muraille électronique", vise donc à contrôler cet espace de liberté. On distingue trois filtres employés par les autorités chinoises.

Le premier est automatique via, "une liste noire d'environ 2.000 mots", affirme Fabienne Clérot. Ils sont automatiquement retirés par les moteurs de recherche chinois ou les fournisseurs d'accès à Internet. D'autre part, une police du Net, d'environ 40.000 à 50.000 hommes, traque les titres les plus populaires. "Comme ils disent, les Chinois se font 'harmoniser', un concept cher au président Hu Jintao", détaille cette spécialiste. Enfin, des Chinois, plus connus sous le nom du "Parti des 5 Maos", sont payés 5 centimes "pour faire des commentaires positifs" sur le régime.

Une censure déjà bien présente

Ce permis à points est un moyen supplémentaire d'apporter une légitimité à une censure qui est déjà bien présente. Depuis la mi-mars, la Chine a fermé 42 sites Internet et effacé plus de 210.000 messages d'internautes afin de mettre fin aux rumeurs sur la Toile, selon un haut responsable cité par l'agence Chine nouvelle.

Le même système était déjà en vigueur pour les journaux et les sites Internet d'information, comme l'expliquait récemment le correspondant de Libération en Chine. Chaque titre de presse dispose d'un capital de 12 points et peut le voir diminuer s'il un publie un article jugé "offensant" pour le régime.

Une contre-culture Web

Pour lutter contre cette censure, une véritable contre-culture Web s'est mise en place en Chine. "Les groupes d’oppositions chinois trouveront toujours des moyens pour contourner ces limitations d’expression", expliquait Kerry Brown, expert cité par la BBC. Les Internautes parviennent déjà à échapper à la loi qui interdit l'anonymat sur les réseaux sociaux, en vigueur depuis mars dernier.

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Un langage codé a ainsi été mis en place. "Au lieu de taper 4 juin massacre de Tian'anmen, les internautes ont trouvé comme code le 35 mai", explique Fabienne Clérot. D'autant que la richesse tonale de la langue chinoise facilite le recours aux homophones, détaille Le Monde. "Comme l'a souligné ironiquement l'artiste Ai Weiwei, la censure est un formidable stimulant à la créativité", explique Renaud de Spens, spécialiste de l'Internet chinois, basé à Pékin et interrogé par le quotidien du soir.

Reste que seuls les "activistes ou dissidents très connus" se permettent d'être impertinents, assure Fabienne Clérot à Europe 1.fr avant de conclure : "les jeunes, ceux qui vont dans les cyber cafés, ne veulent surtout pas se faire choper".