"L'Iran a la volonté de discuter"

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Assiya Hamza , modifié à
INTERVIEW - Le spécialiste Bernard Hourcade analyse les risques d'escalade sur le nucléaire.

La tension avec l'Iran n'a jamais été aussi vive. Alors que Téhéran avait toujours refusé des négociations focalisées sur son programme nucléaire, la République islamique a annoncé être prête à entamer prochainement des discussions avec le groupe des 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne). Pourtant, malgré ces signes de bonne volonté, Téhéran multiplie les coups de force comme l'interruption des livraisons de brut au Royaume-Uni et à la France, même si celles-ci étaient déjà quasi-inexistantes. De son côté, Israël brandit la menace de bombarder le pays. Bernard Hourcade, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Iran décrypte la situation pour Europe1.fr.

Europe1.fr : Pourquoi la tension est-elle aussi vive aujourd'hui ?

Bernard Hourcade : L’Iran est signataire du traité de non-prolifération (TNP) qui l’engage à ne pas avoir de programme nucléaire militaire. Depuis 1972, l’Iran a un programme nucléaire civil notamment mis en place avec l’aide de la France. Comme tout programme civil, il est possible de le faire diverger. Après avoir été interrompu pendant quelques années, l'Iran a repris son programme de manière clandestine, à la fin de la guerre avec l’Irak, dans les années 90.

Un certain nombre de programmes ont été développés sans en avertir l’Agence internationale à l’énergie atomique car ils n’étaient pas obligés de le faire. Une grande suspicion a donc entouré tout cela sachant que l’Iran était considéré comme un pays hostile aux Etats-Unis. L’Iran a donc effectivement commencé à développer un programme militaire pendant cette période. Cela a été confirmé par le dernier rapport de l’AIEA.

Europe1.fr : L'Iran développe-t-il un programme nucléaire militaire ?

Bernard Hourcade : En 2005, les services secrets israéliens et américains, le Mossad et la CIA, ont annoncé que l’Iran n’avait plus de programme nucléaire militaire. Le dernier rapport de l'AIEA daté de novembre 2011 le confirme : l'Iran avait bien un programme militaire avant 2003 mais il a été arrêté de 2003 à 2008. On le soupçonne donc d'avoir repris après cette date. Le dernier acte du président Mohammad Khatami quand Mahmoud Ahmadinejad a été élu en 2005, a été de relancer le programme nucléaire iranien d’enrichissement d'uranium. Il considérait que les Européens n’avaient pas tenu leurs engagements en matière de développement économique, de rapprochement industriel etc promis en échange de l'arrêt de leur programme. Ahmadinedjad a donc continué la politique commencée.

Europe1.fr : Quelles sont les sanctions actuelles ?

Bernard Hourcade : L'Iran est sous sanction de l'ONU depuis 2006. Certains pays voulaient que l'Iran cesse d'enrichir l'uranium, alors qu'elle en a le droit, en signe de bonne volonté. Autrement dit, on leur demande dès le départ ce qui devrait être obtenu à la fin de la négociation. Aujourd'hui, on ne peut plus vendre un stylo bille à l’Iran. Le pétrole va être concerné par un embargo dans les mois d’ici au printemps ou à l’été. Ce sera un blocus total de l’Iran. On arrive à un paroxysme maintenant parce qu’il n’y a plus de sanctions possibles après celle sur le pétrole. Il n'y aura alors plus que deux solutions : la guerre ou la paix.

Europe1.fr. L'Iran est-il vraiment une menace pour Israël ?

Bernard Hourcade. Le débat, très vif actuellement en Israël, est justement de savoir si la sécurité du pays est mise en cause pas l’Iran ou par le problème palestinien. Depuis des années, la question n'avance pas et on cache cela avec l’Iran. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou utilise ce leurre pour détourner l'attention alors que la colonisation se poursuit. En en général, quand les Israéliens veulent attaquer, ils le font et expliquent après.

Europe1.fr : Les Israéliens peuvent-ils attaquer ?

 Bernard Hourcade : Israël considère que le nucléaire iranien est un problème mondial dont l’Onu doit s’occuper. Mais, étant le pays le plus proche, si l’un des pays de la région hostile à Israël avait une arme atomique, ça changerait le rapport de force sans commune mesure. Les Israéliens considèrent que leur sécurité est engagée et sont prêts à jouer le rôle de gendarmes. Certains disent en Israël si on s’attaque à l’Iran tout de suite ça provoquera une réaction très forte des pays arabes voisins notamment l’Egypte qui est un pays très fragile actuellement. On peut imaginer que les Egyptiens soutenus par les Frères musulmans disent "regardez les sionistes attaquent un pays musulman donc nous exigeons la rupture". Attaquer l'Iran revient donc à mettre en danger Israël.

Europe1.fr : Quelle est la position américaine ?

Bernard Hourcade : Les relations entre Barack Obama et Benyamin Netanyahou ne sont pas idéales. Pour le Premier ministre israélien, il est évident que si le président américain est réélu la résolution du conflit au Proche Orient sera sa priorité. Il faut tuer politiquement Obama. Une petite guerre contre l’Iran, envoyer trois missiles même s’ils ne détruisent rien, obligerait les Etats-Unis à soutenir Israël par principe.

Europe1.fr Les discussions peuvent-elles encore aboutir ?

Bernard Hourcade : On annonce beaucoup la guerre mais les efforts de paix n’ont jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. Ahmadinedjad et le guide cherchent à négocier avec les Américains depuis novembre. Ils ont d’ailleurs annoncé qu’ils voulaient reprendre les discussions avec les Américains et les Européens dès que possible. En faisant croiser leurs navires en Méditerranée, l'Iran a voulu montrer qu'elle était forte. C'est comme avant un combat de boxe, chaque adversaire bombe le torse. Ce n'est qu'un prélude à la discussion. La volonté de discuter n'a jamais été aussi forte.