L’Économie verte : fanée avant d'avoir mûri ?

Près de 130 chefs d'Etat se réuniront de mercredi à vendredi au Brésil, à l'occasion du sommet Rio+20.
Près de 130 chefs d'Etat se réuniront de mercredi à vendredi au Brésil, à l'occasion du sommet Rio+20. © Reuters
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Ce concept, au centre des discussions du sommet de Rio+20, est loin de faire l'unanimité.

Vingt ans après son émergence, que reste-t-il de la verte idée de développement durable ? Pour répondre à la question, 130 chefs d’État se réunissent de mercredi à vendredi au Brésil, à Rio, terreau même de ce concept apparu en 1992. À l'époque, cette nouvelle expression dans le vocabulaire international faisait référence à une politique visant à "satisfaire les besoins du présent, sans compromettre la possibilité des générations futures de faire face à leur propre besoin". Deux décennies avant le sommet de cette semaine, baptisé "Rio+20", les dirigeants de 172 pays y adoptaient en effet l'agenda 21, listant les "actions requises pour un développement durable".

"L'économie verte, une réponse à la crise?"

Mais le refus des pays émergents, et même de la plupart des pays développés soumis à la crise, de se plier à la moindre contrainte bloque toute mesure concrète. Au point que 20 ans plus tard, un nouveau concept progresse dans les débats : l’Économie verte. "Les timides mesures prises depuis vingt ans ont été incapables d'instaurer le développement durable. Rio2012 s'apprête à promouvoir l'économie 'verte', comme alternative à l'économie 'brune', responsable de la destruction des écosystèmes",  écrit le journaliste spécialisé Vittorio De Filippis, dans le Libération daté de mardi.

En préparation du sommet de mercredi, se sont tenues ces derniers jours d'immenses concertations rassemblant scientifiques, ONG et grand public, sous l'égide de l'ONU. Les deux thèmes phares : "comment produire et consommer différemment dans la perspective d'un développement durable?", mais aussi "l'économie verte peut-elle constituer une réponse à la crise?".

Le hic : sa définition reste floue, et risque donc d'aboutir à des mesures floues, elles aussi. C'est le Programme des nations unies, le PNUE, qui porte le concept depuis des années. Et lui définit l'économie verte comme "une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l'équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources." Se basant en partie sur cette définition, l'Organisation internationale du Travail estime entre 15 et 60 millions d'emplois relevant de ce concept, du solaire à l'éolien en passant par le photovoltaïque.

Siège du PNUE à Nairobi, au Kenya

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"L'économie verte, c’est la marchandisation de la nature"

Pour beaucoup de ses détracteurs, la définition de l'économie verte par le PNUE ne va pas assez loin, et ne change pas assez en profondeur le système économique mondial. "L'économie verte, considérée comme une issue, n'est qu'une simple inflexion de la production en direction d'un verdissement des processus de production et des produits, décrypte le professeur spécialisé Jean Gadrey, contacté par Libération. Elle laisse en État le système financier, les inégalités, le pouvoir des actionnaires, le fonctionnement du commerce mondial et le culte de la croissance associé au consumérisme."

Plus largement, beaucoup s'inquiètent du mariage des mots "économie" et "verte." Selon certains altermondialistes, derrière cet alliage, se cache un rapport commandé par l’ONU, en 2010, sur "l’économie des écosystèmes et de la biodiversité". Celui-ci "chiffre" les services rendus par la nature, tels que la purification de l’eau ou la pollinisation des plantes par les abeilles. Et il laisse envisager l’idée que ces services naturels "gratuit" seraient mieux reconnus et préservés si on leur donnait un prix.

"L'économie verte, c’est la marchandisation de la nature. Nous refusons que s’exerce un droit de propriété sur la nature, qui ne peut pas être gérée de manière rationnelle. Les services écosystémiques doivent être rendus gratuitement", tacle Geneviève Azam, économiste et membre du conseil scientifique d’Attac, contactée par L'Humanité.

François Hollande sera au sommet

"Nous voyons avec méfiance l’avancée du secteur privé dans des domaines universels comme l’eau et l’air qui devraient être assurés par le secteur public. Les banques et les fonds d’investissement voient la nature comme un capital. Or, c’est un bien commun !, renchérit dans Libération Juliette Renaud, de la branche française des Amis de la Terre, interrogée sur le sujet. Mercredi à Rio, un groupe de banques associées au Pnue-Finance (1) lancera d’ailleurs une 'Déclaration sur le capital naturel'".

Les présidents américain et chinois, Barack Obama et Hi Jintao, ne seront pas présents au sommet Rio+20.

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Mais les "alters" n'ont toutefois pas trop à s'inquiéter pour le moment, car le "Rio+20" ne devrait pas aboutir à des mesures très concrètes en la matière. Peu de dirigeants sont, au moins pour le moment, enclins à mener une économie verte dynamique. Selon l'envoyé spécial du journal Le  Monde au Brésil, Gilles Van Kote, "les pays du sud, et notamment le Brésil, craignent d'y trouver un frein à leur développement et soupçonnent une manœuvre des pays riches afin d'imposer leurs savoir-faire et leurs technologies, sous couvert de considérations environnementales".

Les Etats-Unis non plus ne sont pas très motivés, campagne électorale oblige. "Elu sur la promesse d'une révolution verte, Obama devra peut-être sa réélection au développement du gaz de schiste. En cinq ans, le pays est devenu le premier producteur de gaz au monde et a crée plus d'un demi-million d'emploi dans le secteur", assure l'éditorialiste des Echos et du Monde Philippe Escande, dans un article paru dans le quotidien du soir daté de mercredi.  

Preuve de la considération qu'ils lui portent, le président américain, mais aussi la chancelière allemande Angela Merkel et le président chinois Hu Jintao ont décidé de s'abstenir du sommet Rio+20. Le seul qui semble (un peu) y croire est… François Hollande, qui assure que "l'économie verte est la condition de notre redressement productif". Le président français arrivera mercredi, prononcera un discours devant la conférence des Nations unies, déjeunera avec Dilma Roussef, la présidente brésilienne, et repartira dans la foulée pour Paris.