L’allégeance de Boko Haram à l’EI, "du marketing terroriste"

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3 QUESTIONS A - Bertrand Monnet, spécialiste de Boko Haram, analyse l’annonce d’un rapprochement entre le groupe djihadiste nigérian et la franchise terroriste mondiale Etat islamique.

Aboubakar Shekau revient sur le devant de la scène. Samedi, le chef de Boko Haram a annoncé que le groupe terroriste nigérian faisait désormais allégeance à l’Etat islamique, implanté principalement en Syrie et en Irak. "Nous annonçons notre allégeance au calife (...) que nous écouterons et auquel nous obéirons dans les difficultés comme dans la prospérité", précise une vidéo diffusée au nom de Boko Haram sur internet. Comment faut-il analyser cette annonce ? Europe 1 a posé la question à Bertrand Monnet, responsable de la chaire de management de risques criminels à l’Edhec et spécialiste du groupe terroriste nigérian.

Boko Haram prospère depuis plus de dix ans sans la collaboration ni l’appui ouvert d’autres groupes terroristes. Comment expliquer ce revirement soudain de stratégie ?

Jusqu’à il y a deux ans, l'horizon de Boko Haram était totalement nigérian. Il n’y avait aucune dimension internationale, ni dans leur discours ni dans leurs actions. Depuis la militarisation de leur action, leur objectif affiché a toujours été l’instauration d’un califat dans une partie nord du Nigeria.

Mais depuis plusieurs mois, Boko Haram a diversifié sa stratégie  et a "internationalisé" son action. On est passé d’un affrontement militaire avec l’armée nigériane à une stratégie mixte d’affrontement militaire et d’utilisation de la terreur, notamment par l’enlèvement d’étrangers. On se souvient du cas de la famille française Moulin-Fournier, enlevée début 2013. Au moment de leur libération, les Etats nigérian, camerounais et français étaient partie prenante. On a compris que Boko Haram avait cette dimension international dans son action, même si cela restait régional. Ensuite, cette stratégie s’est poursuivie par une action militaire sanglante contre le Cameroun puis avec l’intervention récente de l’armée tchadienne et nigérienne dans les combats contre Boko Haram.

Après l’intervention de l’armée tchadienne et nigérienne, l’allégeance à l’Etat islamique n’est que l’étape suivante. C’est peut-être ce qui explique que Boko Haram change de "portage".

Faut-il s’attendre à un revirement important dans l’action de Boko Haram ?

Je ne pense pas que l'annonce de samedi soit suivie d’un quelconque effet concret. Militairement, je ne vois pas de quelle façon l’Etat islamique pourrait venir en appui à Boko Haram aujourd’hui. Il n’y a pas de jonction possible avec une quelconque autre faction dans la région. Le groupe nigérian n’a pas besoin de combattants supplémentaires. Pour cela, il enlève des adolescents par dizaines.

Financièrement, les liens entre l’Etat islamique et Boko Haram sont possibles. Mais leurs sources de financement sont très opaques et j’en doute.

Cette allégeance n’est en fait qu’une stratégie de Shekau pour utiliser sa nouvelle arme : les médias. Avec la campagne #BringBackOurGirls (qui réclamait la libération des 400 lycéennes enlevées à Chibok), le leader terroriste a compris que cela marchait. Il a choqué par l’horreur. Maintenant, il essaye de choquer avec une autre forme de buzz grâce à cette marque terroriste mondiale qu’est l’Etat islamique.

De mon point de vue, il s’agit davantage d’un effet d’annonce qu’un changement opérationnel ou idéologique majeur de Boko Haram. Selon moi, il ne faut voir dans ce rapprochement avec la "marque" terroriste mondiale du moment que du marketing terroriste.

Et l’Etat islamique ? Que gagne cette organisation terroriste avec ce nouvel allié ?

Cela ne peut que renforcer l’aura de ce groupe dans la communauté extrémiste. En faisant croire et savoir que l’un des groupes terroristes les plus puissants - avec les shebabs somaliens- les rejoignent, ils gagnent incontestablement en puissance.

Mais il ne faut pas oublier qu’Aboubakar Shekau n’est pas une personne logique. Il est dans un délire poussé. Dans un discours tenu il y a quelques années, il s’adressait directement à Margareth Thatcher et au pape Jean-Paul II, bien après leur mort. Ses propos ne sont pas à prendre au pied de la lettre. 

>> Regardez l'analyse de Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences Po Paris et spécialiste du Moyen-Orient, pour qui cette allégeance "est une catastrophe" :

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