Kavanaugh à la Cour suprême américaine : récit d’une âpre bataille politique

La nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême est retardée depuis les accusations d'agression sexuelle.
La nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême est retardée depuis les accusations d'agression sexuelle. © ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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Mathilde Belin, avec AFP , modifié à
Le candidat de Donald Trump à la Cour suprême, Brett Kavanaugh, est sous le feu des critiques depuis qu’une femme l’accuse d’agression sexuelle dans les années 1980.

Avis de tempête à la Cour suprême américaine. La plus haute institution des États-Unis est l'objet de débats houleux depuis plus de deux semaines : la nomination (à vie !) d’un nouveau juge, choisi par Donald Trump, est compromise par des accusations d’agression sexuelle. Une professeure d’université accuse en effet le très conservateur Brett Kavanaugh de tentative de viol au début des années 1980. Ces révélations perturbent des auditions déjà rendues chaotiques par des sénateurs démocrates soucieux de reprendre la majorité au sein de la Cour suprême. Alors que la nomination de Brett Kavanaugh devait être confirmée jeudi par le Sénat, elle est reportée dans l’attente de l’audition de la plaignante. Récit d’un feuilleton politique hors-normes qui agite les États-Unis.

Brett Kavanaugh pris dans le tumulte

Juge à la cour d’appel de Washington, catholique et conservateur, Brett Kavanaugh, 53 ans, a été choisi en juillet dernier par Donald Trump pour siéger à la Cour suprême, alors que le juge Anthony Kennedy décidait de partir à la retraite. Comme pour tout juge de la Cour suprême, la nomination de Brett Kavanaugh doit être validée par un vote du Sénat. L’audition du candidat de Trump, qui a débuté le 4 septembre, était encore ce jour-là considérée comme une âpre formalité, en dépit d’une minorité démocrate de la commission judiciaire du Sénat bien décidée à renverser la majorité républicaine siégeant à la Cour suprême (après le départ d’Anthony Kennedy, l’institution comptait quatre juges choisis par des présidents républicains et quatre juges choisis par des présidents démocrates).

Le 5 septembre, les sénateurs démocrates de la commission auditionnant Brett Kavanaugh, inquiets de ses positions conservatrices, s’indignaient de n’avoir pas eu assez de temps pour consulter les 42.000 pages qui constituent son dossier, dans une ambiance des plus chaotiques. Dans le public, les personnes qui applaudissaient ou criaient étaient sorties par des policiers : 

Ces auditions déjà tendues par les questions acérées des sénateurs démocrates prennent une toute autre tournure à une semaine du vote de confirmation : le 14 septembre, le New Yorker révèle qu’une femme, encore anonyme, accuse Brett Kavanaugh d’un "comportement sexuel inapproprié" il y a plus de 30 ans. Dès le lendemain, ces révélations poussent Brett Kavanaugh à affirmer à l'hebdomadaire : "Je conteste de manière catégorique et sans équivoque cette allégation." Il demande désormais à s’exprimer devant le Sénat pour "défendre son intégrité".

Christine Blasey Ford sort de l’ombre

48 heures après ces révélations, la plaignante sort de l’ombre. Dans les colonnes du Washington Post, elle dévoile son identité et affirme au grand jour avoir été agressée sexuellement par Brett Kavanaugh. Cette professeure universitaire de psychologie, âgée de 51 ans, raconte au journal comment Brett Kavanaugh et un ami l’ont coincée, "complètement ivres", dans une chambre lors d’une soirée entre lycéens, dans la banlieue de Washington, au début des années 1980. Brett Kavanaugh l'aurait maintenue de force sur un lit, avant de se livrer à des attouchements par-dessus ses vêtements, qu'il aurait tenté sans succès de lui retirer. Alors qu'elle voulait crier, il lui aurait couvert la bouche avec la main. "J'ai pensais qu'il risquait de me tuer sans le vouloir", a-t-elle confié. Elle a finalement pu se dégager de son étreinte et s’enfuir.

Christine Blasey Ford, qui ne cache pas être électrice démocrate, dit n'avoir parlé à personne de ces faits, jusqu'à une séance de thérapie de couple avec son époux en 2012. Elle a transmis au Washington Post des notes prises par ses thérapeutes, évoquant une "tentative de viol" pendant sa jeunesse. Aujourd’hui, elle se dit prête à témoigner devant le Sénat, mais sous certaines conditions. Elle réclame notamment que les conditions de son audition soient "justes", que sa sécurité soit assurée – elle aurait reçu des menaces de mort  - et dit vouloir une enquête du FBI avant son audition.

Convoquée, tout comme Brett Kavanaugh, pour être entendus lundi au cours d’une audience publique retransmise à la télévision, Christine Blasey Ford a fait savoir qu’elle ne sera disponible que plus tard dans la semaine, retardant encore de quelques jours l’épilogue de cette affaire Kavanaugh. Mais si la professeure parvient à instiller suffisamment le doute dans l'esprit des sénateurs, elle infligerait un sérieux camouflet au président américain.

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Des activistes affichent leur soutien à Christine Blasey Ford. ©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Les démocrates montent au front

La minorité démocrate de la commission judiciaire du Sénat n’a d’ailleurs pas tardé à se saisir de cette affaire pour ralentir, et pourquoi pas renverser, la nomination de Brett Kavanaugh. L’influente sénatrice démocrate Dianne Feinstein, numéro deux de la commission judiciaire, a été, dès cet été, la destinataire d’une lettre alors confidentielle de Christine Blasey Ford, dans laquelle étaient détaillées les accusations à l’encontre de Brett Kavanaugh. Elle avait transmis cette lettre au FBI, et estime désormais, maintenant que l’accusatrice a parlé publiquement, qu’il "revient au FBI de mener une enquête".

Outre cette enquête fédérale, les dix sénateurs démocrates de la commission ont demandé la suspension de leurs travaux parlementaires le temps que le FBI mène l’enquête, et le report du vote de confirmation au Sénat de Brett Kavanaugh, fixé au 20 septembre, avant un vote final en séance plénière fin septembre. "Insister pour voter maintenant serait une insulte pour les femmes américaines et l'intégrité de la Cour suprême ", avait tonné le chef des sénateurs démocrates, Chuck Schumer.

Ce combat politique féroce prend une dimension particulière pour l’opposition, alors que les élections de mi-mandat se tiennent dans quelques semaines. Les démocrates espèrent en effet pouvoir reporter la confirmation de Kavanaugh après les élections parlementaires de novembre, dans l'espoir de reprendre la majorité au Sénat, qui a le dernier mot pour les nominations à la Cour suprême. Ou bien, ils espèrent que sur les 51 sénateurs républicains (contre 49 démocrates), quelques-uns soient suffisamment ébranlés par cette affaire pour voter contre le juge Kavanaugh.

Donald Trump perd patience

Mais la Maison-Blanche n'entend pas laisser faire et contre-attaque. Elle a d’abord dénoncé une opération de la dernière chance pour tenter de retarder la confirmation du juge Kavanaugh, et assuré du sérieux de son candidat. "Au cours de ses 25 ans dans la fonction publique, le FBI a consciencieusement et régulièrement étudié le parcours de Brett Kavanaugh", avait indiqué la présidence la semaine dernière. Selon les médias américains, le juge Kavanaugh a été vu à la Maison-Blanche lundi, où des spécialistes le prépareraient à répondre au feu des questions des sénateurs. Et dans les médias, ses proches lissent son image et le présentent en bon père de famille, des anciennes petites amis louent "un parfait gentleman" et Mark Judge, l’ami de Kavanaugh accusé d’avoir assisté à la tentative de viol, a assuré "n’avoir jamais vu Brett agir de cette manière".

Donald Trump, d’habitude si prompt à critiquer ses adversaires, s’est jusque-là gardé de s’en prendre directement à Christine Blasey Ford, et répète à l’envi depuis plusieurs jours qu’il est confiant et solidaire de Brett Kavanaugh, qu’il couvre d’éloges, parlant d’un "juge extraordinaire, respecté de tous". Il a dénoncé aussi de basses manœuvres politiciennes des démocrates, allant jusqu’à parler de "chasse aux sorcières". Mais impatient face au retard que prend la nomination de son candidat, le président américain a mis en doute vendredi la gravité de l’agression sexuelle imputée à Brett Kavanaugh, invitant la plaignante à présenter son dépôt de plainte, et exige qu'elle s’exprime lundi devant les sénateurs de la commission pour s’expliquer. 

Car pour le président républicain, l’enjeu est de taille : la Cour suprême, où les juges sont nommés à vie, valide la constitutionnalité des lois et arbitre les débats de société les plus importants, du droit à l’avortement au port d’arme. Et au cas où les républicains perdraient leur courte majorité au Sénat lors des élections du 6 novembre, le milliardaire aurait du mal à imposer ses candidats à la Cour suprême pendant tout le reste de la mandature.

Un précédent en 1991. Brett Kavanaugh n’est pas le premier candidat à la Cour suprême à être sous le feu des critiques. En 1991, le Sénat entend un juge et une de ses anciennes collègues qui l'accuse de harcèlement sexuel lors d'auditions télévisées restées dans les mémoires.

Devant la commission sénatoriale chargée d'examiner la candidature du juge Clarence Thomas, nommé par George H.W. Bush, Anita Hill accuse le magistrat, pour lequel elle a travaillé dans les années 1980, d’avoir tenu des propos déplacés à plusieurs reprises sur leur lieu de travail, notamment en lui décrivant des films pornographiques. L’intéressé nie en bloc. L'audience, suivie par 20 millions de foyers, se révèle éprouvante pour son accusatrice. Les sénateurs de la commission, exclusivement masculins, passent au gril sans ménagement cette professeure de droit. Au final, le juge Thomas obtient un vote favorable. Il siège encore aujourd'hui à la Cour suprême.