Kamel Daoud : "on ne naît pas djihadiste, on le devient"

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Thomas Sotto avec , modifié à
INTERVIEW E1 - Le journaliste algérien, très religieux dans sa jeunesse mais aujourd'hui sous le coup d'une fatwa, offre un regard acéré sur la radicalisation de certains croyants dans le monde islamique.

Proche d'un islam rigoureux si ce n'est rigoriste dans sa jeunesse, il est aujourd'hui sous le coup d'une fatwa lancée par un imam pour ses positions libérales et laïques. Kamel Daoud, auteur du roman salué par la critique Meursault, contre-enquête, s'est exprimé au micro de Thomas Sotto vendredi matin, sur Europe 1. Il réagit après les attentats du musée du Bardo qui ont frappé Tunis. Sans concessions ni amalgames.

"Lire beaucoup de livres pour résister à un livre". Kamel Daoud souligne un élément essentiel pour comprendre la violence toujours plus forte imprimée dans le monde par le djihad. Lui qui était "très religieux" dans sa jeunesse, lui qui a "côtoyé le milieu islamiste" affirme que cet islamisme a radicalement changé depuis. Kamel Daoud aussi. Il explique avoir "changé de lecture car ce chemin-là" ne lui suffisait plus : "je n'en supportais plus les contradictions", poursuit-il. Son salut ? Il l'a trouvé "dans les livres" : "il faut beaucoup de livres pour résister à un livre, que ce soit le Coran ou tout autre livre saint brandi par des extrémistes", rappelle-t-il. 

Kamel Daoud : "Il faut lire beaucoup de livres...par Europe1fr

En Algérie, 30 chaines francophones contre 1.200 chaînes religieuses. L'aspect sécuritaire, c'est bien, l'école, c'est mieux. Kamel Daoud n'hésite pas à affirmer "qu'on s'y prend mal pour lutter contre le terrorisme" : "il y a l'aspect sécuritaire bien sûr, mais l'autre aspect, c'est l'école. On ne naît pas djihadiste on le devient, on le devient à cause d'idées, à cause d'offres éditoriales, à cause de puissances qui les financent comme l'Arabie Saoudite. Vous savez en Algérie on a trente chaînes francophones et 1.200 chaînes religieuses". Un exemple concret qui permet de bien comprendre l'importance de "l'offre culturelle" sur l'opinion publique et la formation des consciences.

"Mes livres sont vendus 5 euros en Tunisie, les œuvres djihadistes sont gratuites". "La télévision est primordiale, elle touche les femmes en milieu rural, des femmes qui sont peu scolarisées et qui derrière éduquent leurs enfants. Vous savez, je peux écrire un livre il sera vendu à 20 euros ici et à 5 euros en Algérie, mais les livres djihadistes sont gratuits", poursuit le journaliste romancier qui résume bien l'asymétrie : "L'accès à la culture djihadiste est beaucoup plus facile". 

Le djihadisme, un monstre entretenu par certains régimes pour rester au pouvoir. Autre problème soulevé par Kamel Daoud, politique cette fois-ci, les stratégies développées par certains leaders du monde arabe : "il y a une vraie responsabilité politique des régimes. Leur attitude, c'est 'je fabrique un monstre pour faire peur à l'Occident', en disant 'c'est soit nous soit eux', ça permet de tenir la pouvoir. En Algérie si vous manifestez pour la démocratie on vous tabasse, si vous êtes islamiste, vous pouvez marcher dans les rues", résume-t-il. 

"L'Histoire fonctionne au sang". La lucidité ne pousse pas forcément à l'optimisme. En témoigne la conclusion, "cynique", du propre aveu de Kamel Daoud, que propose l'auteur : "Je pense qu'il y a nous et eux, l'Humanité et de l'autre ces gens-là". Kamel Daoud rappelle que l'idéologie djihadiste défend une certaine conception de l'oumma. Ce peut être compris comme l'idée d'une solidarité entre les fidèles musulmans, mais les djihadistes eux prônent l'idée d'un supra-Etat basé sur une appartenance religieuse, la constitution d'un califat. Et face à cela, il déplore que nous soyons "en rangs dispersés" : "Français Algériens, Américains… L'Histoire fonctionne au sang et on va en payer le prix, on le paye déjà, d'autres pays payent beaucoup plus cher que la France, l'Algérie notamment. Si on ne fait rien, on peut perdre beaucoup". 

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