Faire travailler les femmes, le pari pas gagné du Japon

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Le Premier ministre nippon Shinzo Abe a misé sur les femmes pour relancer l’économie. Un pari qui se heurte à la dure réalité du pays.

Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, peut dormir tranquille. Son parti est assuré de remporter haut la main les élections législatives de dimanche, un scrutin transformé en véritable référendum sur sa politique économique, les fameux "Abenomics". Pourtant, l’une des pièces maîtresses de ce programme, la participation accrue des femmes à la vie économique, peine à se mettre en place. Faire des femmes un moteur de la croissance, cela ne va pas de soi dans l’archipel, où un grand nombre d’entre elles ne travaillent pas. 

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Moins de 65% des Japonaises travaillent. Le credo de Shinzo Abe tient en quelques mots : "capitaliser sur le pouvoir des femmes". En clair, il s’agit de faire travailler un plus grand nombre de femmes. En 2010, l’OCDE estimait que 64,4% des Japonaises travaillaient, contre 83,8% des Françaises par exemple. A l’horizon 2020, Shinzo Abe espère voir travailler les trois quarts des Japonaises, un pari qui est loin d’être gagné. Au Japon, note The Telegraph, quand les femmes ont leur premier enfant, elles sont 70% à s’arrêter de travailler pendant au moins dix ans. Aux Etats-Unis, la proportion est seulement de 30%.

Depuis le lancement de son programme économique, début 2013, le gouvernement assure toutefois que plus d’un demi-million de femmes sont entrées sur le marché du travail. Mais, note un chercheur dans le Japan Times, il oublie de préciser que la croissance de l’emploi sous Abe "est concentrée sur des emplois irréguliers et mal payés". 

Une certaine "culture du monde du travail". Pour permettre aux femmes de travailler plus, le gouvernement Abe entend créer pas moins de 400.000 places en crèches d’ici 2017. Mais il faudra sans doute plus que des garderies supplémentaires pour faire évoluer les mentalités. Pour Rupert Wingfield-Hayes, correspondant de la BBC à Tokyo, la "culture du monde du travail" pose aussi problème. "Les journées sont extrêmement longues et débordent régulièrement tard dans la soirée", observe-t-il. "Les soirées alcoolisées entre hommes font partie de la vie en entreprise", souligne aussi cet observateur. Quant au fait de vouloir prendre du temps pour s’occuper de ses enfants, en partant un peu plus "tôt" pour préparer le dîner, il "détruit toutes vos chances de promotion". En clair, l’organisation même du monde du travail et la culture d’entreprise ne permettent quasiment pas de trouver un équilibre entre un emploi à temps plein et une vie de famille. 

Signe que les mentalités ne semblent pas évoluer dans les entreprises, le nombre de plaintes pour harcèlement et discrimination en lien avec la grossesse et la maternité explose. En six ans, ce nombre a en effet augmenté de 18%, selon Reuters, qui souligne à quel point les Japonaises ont du mal à faire valoir leurs droits auprès de leurs employeurs.

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Des postes à responsabilités très masculins... Shinzo Abe a fixé un autre objectif au pays : avoir dans les entreprises 30% de femmes à des postes à responsabilités d’ici 2020. Là encore, la tâche s’annonce difficile. En 2013, sur les 225 entreprises membres de l’indice boursier Nikkei225, seules 30 comptaient au moins une femme à leur conseil d’administration, notait un éditorialiste de Bloomberg, ajoutant : sans quotas imposés, "les choses ne vont pas s’améliorer d’elles même"

.… y compris dans le monde politique. Dans la classe politique, la situation n’est guère plus reluisante. Le Parlement japonais ne compte que 10% de femmes. Et ce n’est pas Shinzo Abe lui-même qui peut donner l’exemple : pour les élections de dimanche, sur 342 candidats nommés par son parti, seuls 36 sont des femmes. En septembre, le Premier ministre avait bien tenté d’envoyer un signal fort en nommant cinq femmes dans son gouvernement. Manque de chance, deux d’entre elles ont déjà dû démissionner, cernées par des scandales. Quant aux autres membres du gouvernement, ils accumulent bourdes et polémiques. La dernière en date remonte au week-end dernier, quand le ministre des Finances, Taro Aso, a vertement critiqué les femmes qui ne font pas d’enfants et sont, selon lui, responsables du vieillissement de la population japonaise.