Etats-Unis : pourquoi les milliardaires cèdent-ils leur fortune à des fondations ?

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Après Bill Gates, c’est au tour de Mark Zuckerberg de donner sa fortune à sa fondation et non à sa fille. Une pratique très anglo-saxonne.
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LA QUESTION - Après Bill Gates, c’est au tour de Mark Zuckerberg de donner sa fortune à sa fondation et non à sa fille. Une pratique très anglo-saxonne.

Mark Zuckerberg, Bill Gates ou encore Warren Buffett n’ont pas seulement en commun le fait d’être milliardaire, mais aussi celui de faire partie du club des plus gros donateurs de la planète. Mardi, le fondateur de Facebook a annoncé qu’il céderait 99% de ses actions à sa nouvelle fondation la "Chan Zuckerberg Initiative".

>> Pourquoi ces dirigeants donnent-ils leur fortune plutôt que la léguer à leur descendance ?

Parce que le droit aux Etats-Unis le permet. Première explication à cette culture du don aux Etats-Unis : le cadre juridique autour de la succession. Là où la France n’autorise pas (vraiment) de déshériter ses enfants, les Etats-Unis n’appliquent pas les mêmes règles. En France, c’est l’article 912 du code civil qui définit ce cadre et la quote part dont il est possible de disposer librement.

Aux Etats-Unis, "le régime du droit de succession est tout à fait différent", souligne Virgine Seghers, spécialiste des nouveaux modèles philanthropiques et économiques, interrogée par Europe1.fr. "C’est ce qui permet à des hommes comme Mark Zuckerberg, Bill Gates ou encore Warren Buffet de léguer leur fortune à des fondations", ajoute-t-elle.

La spécialiste souligne également que la part que cèdent ces milliardaires à leurs enfants, même si elle n’est qu’une toute petite partie de leur fortune, "est largement suffisante pour subvenir à leurs besoins". En effet, le fondateur de Facebook a annoncé qu’il céderait, progressivement, 99% de ses actions à sa fondation, ce qui représente aujourd’hui 45 milliards de dollars (environ 42 milliards d’euros). Le pourcent restant ira à sa fille, Maxima.

Parce qu'il y a la culture du "give-back". Autre différence de taille entre la France et les pays anglo-saxons sur la philanthropie, "nous considérons, nous Français, qu’il est du rôle de l’Etat de redistribuer, puisque nous participons à travers l’impôt", observe Virgine Seghers. Aux Etats-Unis, en revanche, "on a une culture du "give-back" (l’action de redonner à la communauté), qui est cultivée très jeune chez les Américains qui participent à des galas de charité dans leur scolarité", ajoute la spécialiste. Elle souligne aussi cet état d’esprit "self-made man" des grands donateurs qui "reversent à la communauté parce qu’ils se sentent débiteurs et veulent remercier d’avoir cette chance de faire fortune".

Parce que c’est inhérent à la société anglo-saxonne. La tradition du grand donateur remonte à la fin du 18e siècle, puis tout au long du 19e siècle, quand des hommes comme John Rockefeller ou Jean Paul Getty ont initié cette idée de rendre à la société ce qui leur avait été permis de gagner. Le couple Zuckerberg s’inscrit pleinement dans cette démarche. Mark et Priscilla avaient déjà fait plusieurs dons : 120 millions de dollars (113 millions d’euros) aux écoles publiques de la baie de San Francisco en 2014 après 100 millions de dollars (94 millions d’euros) versés aux écoles publiques de Newark, sur la côte est.

Une démarche qui puise ses racines dans la culture protestante, qui structure la société anglo-saxonne. "La thésaurisation est une chose condamnable dans la religion protestante. C’est pourquoi il faut soit réinvestir sa richesse, soit la donner", analyse Virgine Seghers. Un point de vue que soulignait récemment Jean-Pierre Pinatton, membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et membre de l’église réformée de France, dans les colonnes de l’hebdomadaire Challenge : "dans l’optique protestante, l’argent n’est qu’un moyen de développement. Il ne s’agit donc pas d’accumuler mais de faire circuler l’argent".

Parce qu'on veut avoir un impact positif et... le revendiquer. Dernier point essentiel sur cette culture du don : sa revendication. Là encore, la démarche est considérablement différente entre la France et les Etats-Unis. "Il existe encore aujourd’hui en France et plus largement en Europe, dans les pays où la religion catholique est dominante, une volonté de ne pas se montrer, de ne pas dire qu’on est un gros donateur", souligne Virgine Seghers.

Aux Etats-Unis, le comportement est inverse : on se revendique donateur. Pour preuve, le classement des plus gros donateurs américains publié chaque année par le magazine Forbes. Warren Buffett est arrivé à la première place des Américains les plus philanthropes en 2014. Bill et Melinda Gates suivaient avec 1,2 milliard d’euros de dons en 2014 et 29 milliards d’euros au total. Mark Zuckerberg et Priscilla Chan arrivaient, quant à eux, à la 24e place de ce classement, avec 62 millions d’euros l'an dernier et 1,5 milliard d’euros donnés au total.